Les crozets des Férices

Les crozets sont des petites pâtes carrées typiquement savoyardes. Historiquement, elles sont confectionnées avec du sarrasin, qui pousse plus volontiers que le blé sur les pentes mauriennaises, territoire frontière entre France et Italie. Les pastas à la mode transalpine s’avérant beaucoup trop volumineuses pour la besace de leurs bergers d’alpage, les Savoyards se sont mis à fabriquer ces « petites pâtes » (dites « crozets » en patois local) compactes et longue conservation. C’était il y a quelques siècles… Aujourd’hui, on les sert en croziflette ou en gratin avec une dose nécessaire et suffisante de crème et de fromage. Ils font le délice des touristes tout autant que des gens du pays, pendant la saison froide mais pas seulement – la Savoyarde qui rédige ces lignes consomme d’ailleurs des crozets toute l’année, en salade comme gratinés. La Savoie a fait des crozets un marqueur de son terroir, et donc une industrie. Mais les crozets artisanaux, c’est une tout autre histoire !

Sat’info vous emmène déguster les Délices des Férices, sous la montagne du même nom. La grande spécificité de ce GAEC familial est de produire les céréales qui permettront la confection, à petite échelle, de pâtes et de gâteaux.

Dans la famille Turchet, je demande le père, Philippe, apiculteur de cœur et de métier que Sat’info vous a déjà présenté en… 1999. Philippe était déjà installé à Arvillard, village qui l’a vu naître, dans la partie savoyarde du massif de Belledonne. Vingt ans plus tard, en plus de ses 280 ruches, Philippe cultive une dizaine d’hectares de blé et de sarrasin bio, qu’il sème en alternance. Un moulin coopératif les transforme en farine. La sélection de variétés « pas communes » lui a demandé des années d’expérimentations, la mise au point des pâtes aussi.

Dans la famille Turchet toujours, je demande la mère, Sylvie, qui prépare chaque matin pain d’épices, cakes et cookies, tandis que la fille, Ophélie, se prépare à reprendre le flambeau paternel dans l’atelier de fabrication des pâtes.

Le pain d’épices confectionné par Sylvie est une vraie tuerie à l’ancienne, option souvenir d’enfance. Le blé de la ferme moulu en farine est mélangé aux épices d’Arcadie et au miel toutes fleurs des ruches de Philippe. La pâte fermente tranquillement pendant 24h avant la cuisson. Les enzymes contenues dans le miel ont travaillé l’amidon de la farine, le résultat est aussi moelleux que digeste.

Les industriels de la pâte savoyarde utilisent généralement de la farine de blé dur, qui permet d’obtenir des pâtes standard de qualité… standard. Ce n’est pas le choix du GAEC des Férices, qui a opté pour une sélection de variétés anciennes de blés tendres, additionnée d’un brin de magie. Magie de l’Histoire – Sylvie descend tout droit d’une lignée de Siciliennes qui faisaient sécher leurs spaghettis au soleil de la Méditerranée –, magie des rencontres – avec Vittorio, maître pastier italien… Et surtout le ressenti sensible d’un Philippe connecté à la terre, attentif à chaque semis, chaque récolte, chaque mouture. Ses blés sont beaucoup moins protéiques que le blé dur et leur gluten est moins fort. Pour compenser, il suffit d’ajouter des œufs dans la pâte des crozets, comme dans la recette traditionnelle. Il faut aussi ajuster cette dernière à chaque mouture, chaque jour. Un travail d’orfèvre.

La fabrication des pâtes est physique. Philippe et Ophélie s’activent autour des lourdes machines qui pétrissent la pâte et l’entrainent au travers d’un moule de bronze jusqu’au panier de séchage. Pour que le crozet attrape bien la sauce, sa surface doit être riflée, c’est le contraire de lisse. Un crozet lisse « ne vit pas » dans l’assiette, ce qui est bien dommage !

Bien épais, les crozets sont parmi les pâtes les plus longues à sécher. Si la plupart des industriels ont recours à une méthode de déshydratation sous vide aussi pratique qu’expéditive, les Turchet optent au contraire pour le séchage à basse température. Quatorze heures sont nécessaires pour les crozets afin de préserver les nutriments des céréales et de garantir une qualité gustative optimale.

Les crozets des Délices des Férices existent en quatre versions : nature (100% blé), sarrasin (25%), châtaigne (20%) et cèpes (5% de cèpes séchés Arcadie). Les crozets restent fermes après une cuisson à l’eau d’une vingtaine de minutes. Ils se dégustent aussi bien chauds que froids, comme n’importe quelles pâtes. Sylvie nous donne néanmoins un conseil d’amie, que je suivrais si j’étais vous : laisser égoutter les crozets pendant une bonne heure permet d’éliminer complètement l’eau de cuisson et de leur faire « prendre » beaucoup mieux la sauce. On peut même ajouter de la crème et du fromage et laisser reposer le tout au réfrigérateur le temps d’une bonne nuit réparatrice. Un passage au four le lendemain donnera le plus succulent des gratins.

CC