Les algues marines – Entretien avec Hélène et Matéo Magariños

livre-alguesLa connaissance peut-elle être incarnée ? S’il s’agit d’une question métaphysique, nous laissons la réponse à votre appréciation… Mais s’il s’agit de trouver des personnes qui confortent cette hypothèse en faisant preuve d’une maîtrise rare et approfondie d’un sujet, plus de doute possible : Hélène et Matéo Magariños sont un exemple qui nous permet de répondre oui. Tous deux biologistes de formation, spécialistes en nutrition et en cuisine, ils font preuve d’une connaissance des algues unique tant son champ est vaste : de la mer à l’atmosphère, de la naissance de la vie à la pointe de la fourchette, de la biologie des végétaux à la physiologie humaine… Nous avons eu la chance de les rencontrer chez eux à Teyran, près de Montpellier.

Manger des algues, pour un Français, reste encore une idée saugrenue. D’autres populations les consomment-elles depuis longtemps ?
On a retrouvé des traces de cette consommation sur des sites préhistoriques au Japon, en Corée, en Chine… Au Japon, elles remontent avec certitude à 10.000 ans, les algues devenant peu à peu un mets de choix très prisé par les classes dirigeantes. Dès le Moyen Âge, c’était le principal cadeau que les ambassadeurs nippons offraient à l’Empereur de Chine lors des visites officielles ! On découvrit très tôt la valeur nutritionnelle et culinaire des kombous (plusieurs variétés), de la wakamé, des nori – que l’on emploie pour les célèbres sushi – et d’une bonne dizaine d’autres espèces. Au XVIIème siècle les moines bouddhistes mirent à l’honneur la gelée à l’agar-agar, qu’ils ont appelé “kanten” : en japonais “aliment des dieux”, ce qui en dit long… Mais il n’y a pas qu’en Extrême Orient qu’on mange des algues ; les Inuïts du Grand Nord les apprécient aussi, les Hawaïens, les Philippins, les Malais, les Indonésiens, les Birmans, les Maoris de Nouvelle Zélande… Sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, il arrive même que les populations indigènes en consomment trop, principalement à cause de la pauvreté, et développent des pathologies liées à cet excès.

Les Européens en consomment-ils un peu ?
Par le biais de l’industrie alimentaire qui les emploie plus qu’on ne le croit, oui. Mais mis à part cette utilisation, il est intéressant de constater que ce sont surtout les nations qui côtoient l’océan Pacifique qui ont appris à les apprécier et à les cuisiner, bien plus que celles riveraines de l’Atlantique – dont nous faisons partie – alors que cet océan en recèle autant. Pourquoi ? Certains avancent des hypothèses de nature ésotérique, mais la question reste ouverte… Quoi qu’il en soit, les pays européens qui ont épisodiquement développé cette consommation l’ont surtout fait aux périodes de grandes famines, et la valeur que l’on donne à l’algue dans ce cas-là n’est donc pas du tout la même qu’en Asie. Ainsi le Pays de Galles, l’Angleterre, l’Irlande, la Norvège, l’Islande, la Bretagne les ont-ils parfois consommées, lorsqu’il y eut nécessité. Les espèces employées – peu nombreuses – furent surtout la dulse, la nori et les carraghenanes. Remarquons que ce dernier nom est d’origine irlandaise. Mais outre l’impératif alimentaire, certaines populations avaient quand même compris l’importance médicale des algues. Ainsi, dès le XVIIème siècle l’Empire Austro-hongrois imposa avec lucidité l’“algenbrott”, un pain aux algues qui permettait de lutter contre le goitre et les terribles effets des carences en iode. Les Irlandais comprirent, eux, combien les algues rouges, et surtout leur « carragheen », sont bénéfiques pour les voies respiratoires.

À quel moment a-t-on commencé à considérer les algues comme un aliment à part entière ?
En Europe – et plus particulièrement en France et en Belgique – dans les années 50, avec Ohsawa et la Macrobiotique.

Les algues sont-elles prépondérantes en Macrobiotique?
Prépondérantes, non, mais indispensables oui :la kombou, la nori, la wakamé, l’aramé, l’iziki, l’ao-nori (ou nori verte) et l’agar-agar sont les principales algues alimentaires que l’Europe découvre grâce à ce régime. Ohsawa avait un penchant pour l’iziki, qu’il considérait comme étant la plus “yang”. Beaucoup de macrobiotiques limitent donc toujours leur choix à l’iziki, ce qui est à la fois dommage au niveau gustatif et pas très judicieux d’un point de vue nutritionnel. Ici comme partout en matière alimentaire, la diversité et la variété sont gages d’équilibre et plus conformes à l’esprit de la Macrobiotique…

Étant donné qu’il n’y avait pas de production en France, les algues consommées au début étaient donc japonaises ?
Oui, et plutôt chères… D’où l’idée d’en récolter en France. Trois Français – trois pionniers successifs auxquels nous restons très reconnaissants – se sont mis à en ramasser en Bretagne. D’abord Gérard Beaudoing, puis Guy Balahy et enfin, Jean-François Arbona.

On imagine le formidable succès qu’ont rencontré ces précurseurs…
Nous saluons leur courage et leur vision d’avenir ! C’est Jean-François avec son entreprise, NATURALGUES, fondée avec deux associés performants, qui, le premier, sortit les algues alimentaires de la marginalité et fit décoller le secteur, au début des années 80. Décollage du reste confidentiel… Pour nous remercier pour notre effort d’information et de promotion, NATURALGUES nous invita en Bretagne pour la très grande marée de septembre 85. Et là… éblouissement total, coup de foudre devant ce merveilleux spectacle naturel, sauvage ; devant cet environnement intact et superbe ! Nous sommes tombés amoureux fous de la Bretagne… C’est justement ce coup de foudre pour le magnifique jardin que la mer découvre lors des grandes marées que nous essayons de faire passer à nos stagiaires : un lieu riche, pur, extrêmement vivant, et la sensation de communier vraiment aux racines de la vie…

Parlons de cuisine, une de vos grandes passions : comment apprécier les algues ?
Elles ne se mangent pas comme des épinards… pas de pleine assiette ! C’est un aliment venant en complément, qui peut avoir une saveur forte et très nouvelle. D’un point de vue nutritionnel, il ne faut pas en abuser non plus. La référence ce sont les Japonais, dont la ration alimentaire est constituée, en poids sec, de 12 à 15 g. d’algues par personne et par jour. Pour nous, la fourchette 5 à 10 grammes serait une quantité raisonnable. En général, la consommation de ceux qui les découvrent est plutôt forte. Après un ou deux ans les quantités se stabilisent.

Comment accommoder les différentes variétés ?
C’est un peu comme les légumes de la terre : poireaux et carottes sont très différents… kombous et dulces le sont également ! Il faut les préparer en connaissance de cause, les combiner avec d’autres aliments, bien repérer les différentes textures et saveurs, affiner les temps de cuisson…

Pouvez-vous nous citer quelques associations réussies ?
Un chutney aux oignons et aux aramés (dégusté ce jour-là en apéritif ; irrésistible ! – ndlr) : avec pommes et raisins secs, gingembre, curry et d’autres épices… Ou la kombou cuite, puis sautée avec du shoyu, de l’ail et du persil, ce qui en fait un excellent condiment. Un autre classique : la soupe de miso au wakamé, d’un goût très riche, surtout avec quelques champignons shiitaké…

Les algues bénéficient-elles d’une reconnaissance officielle au niveau gastronomique ?
Indiscutablement. Des chefs réputés comme Bruno Matignon, Alain Colas, Pascal Pineau, Alain Denoual, Pierrick Le Roux (ce dernier professeur très connu à l’École Hôtelière de Brest) – pour ne citer que quelques-uns – les apprécient beaucoup et les cuisinent régulièrement. En France, une bonne trentaine de grands chefs les utilisent à l’heure actuelle.

Que pourrait-on dire du goût des algues ?
Relativement iodé bien sûr, il s’apparente à certains fruits de mer. Parfois doux, parfois assez prononcé, selon les variétés… Une quarantaine de substances contenues dans les algues – certaines très spécifiques – contribuent à forger leur saveur ! Remarquons que le glutamate monosodique, cet agent de sapidité bien connu que l’on trouve dans les préparations toutes faites et dans les restaurants chinois est l’exacte réplique de synthèse d’une molécule présente dans les algues brunes… Sous cette forme naturelle, il ne provoque aucun mal à la tête ! Quant à la texture des algues, elle doit être maîtrisée à la cuisson, afin d’éviter la viscosité.

Ces cuissons sont-elles longues ?
C’est comme pour les carottes : selon qu’elles sont nouvelles ou pas, de 3 à 20 minutes… Pour les algues plutôt dures la cuisson est importante, notamment pour une bonne assimilation. D’autres plus tendres peuvent être consommées crues, marinées, saumurées. Tous les cas de figure sont possibles. Nous recommandons, au début, de suivre les conseils ou les cours d’une personne expérimentée ou de consulter un livre de cuisine pour apprendre à se débrouiller… Les algues sont tout de même un aliment peu conventionnel.

On a évoqué l’idée de consommer les algues. Mais comment les définir ?
Elles furent parmi les premiers êtres vivants à apparaître sur Terre. Les premières filles de la Vie, enfantées par l’Océan et portant sa trace. En fait toute vie provient de la mer… C’est un vaste sujet, mais on peut dire que tout être vivant terrestre, de par ses origines, transporte en lui un petit océan intérieur… qu’il doit nourrir : les algues s’y prêtent à merveille. Voilà pourquoi celles-ci constituent également un excellent engrais! Le Docteur René Quinton découvrit au début du XXème siècle l’analogie quasi parfaite qui existe entre notre plasma sanguin et l’eau marine (à la différence près de la concentration en chlorure de sodium).

Et quel est leur intérêt nutritionnel ?
Les algues concentrent tous les minéraux et oligo-éléments de la mer. Et celle-ci a une composition constante, alors que la terre, elle, est par excellence le domaine des inconstances avec ses sols calcaires, argileux, granitiques, alluvionnaires, etc. Sur les continents, donc, la vie ne trouve pas toujours tout ce dont elle a besoin. Dans la mer si, et de manière régulière. C’est la loi de Dittmar, un scientifique allemand contemporain de Quinton. Les algues sont le cordon ombilical qui nous relie directement à nos références vitales originelles, l’Océan.

Sont-elles une bonne source de protéines ?
Il ne faut pas privilégier cette approche ; les quantités consommées sont trop faibles pour cela. Mais les algues contiennent tous les acides aminés essentiels et beaucoup d’autres, dont un bon nombre sous une forme libre : ils n’ont pas besoin d’être “déconstruits” par l’organisme avant d’être assimilés, ce qui est un grand avantage. On y trouve également les “transporteurs” étudiés par le professeur Laborit, qui aident à l’assimilation. L’acide alginique, véritable signature des algues, mérite un mot : c’est un acide faible remarquable qui se chélate avec les différents métaux lourds indésirables qui polluent notre corps – plomb, mercure, cadmium, aluminates, etc – et les élimine hors de celui-ci ! Il fait de même avec les substances radioactives… Lorsque Tchernobyl explosa, les Allemands – bien informés, eux ! – ont consommé toutes les algues disponibles en peu de jours, pour se protéger. Bref, la liste de leurs bienfaits est très longue et ne cesse de s’allonger à mesure de nouvelles et incessantes découvertes… Retenons qu’elles fluidifient le sang, qu’elles ont un rôle anti-inflammatoire et anticancéreux, qu’elles protègent contre le diabète et contre les maladies cardio-vasculaires. Ce ne sont à peine que quelques-unes de leurs propriétés bienfaisantes !

Pourtant, les algues ne véhiculent pas toujours une image très positive…
Plusieurs affaires qui ont défrayé la chronique ces dernières années ont contribué, en effet, à ternir leur image : l’algue dite “tueuse” de Méditerranée échappée de l’Aquarium de Monaco, les diverses marées vertes – en Bretagne, à Venise, notamment – dues à la pollution agricole et aux effluents urbains. D’origine asiatique, la première s’est répandue par la faute et l’imprudence des hommes ; la prolifération des algues vertes est un signe de déséquilibre, mais loin de polluer, par leur présence elles dépolluent justement la mer, résorbant phosphates et nitrates en excès !

Existe-t-il des algues toxiques ?
À la différence des champignons, aucune algue n’est vénéneuse ni toxique ! Ce que la Presse a qualifié incorrectement d’“algues toxiques” sont deux cyanobactéries marines (dynophysis et alexandrium) qui, de temps à autre, se concentrent dans les coquillages et atteignent des seuils de toxicité pour les humains. Les macroalgues que nous consommons et préconisons sont absolument hors de cause.

Les différentes marées noires ont-elles affecté leur qualité ?
Les marées noires tuent la grande majorité des algues existantes. Celles qui survivent prennent un aspect flétri et dégradé qui exclut toute récolte. Mais par chance pour nous, le lieu où nous organisons nos stages n’a pas été touché, pas plus que la très grande majorité du littoral du Finistère et du Nord Bretagne. Les analyses sont très favorables.

Certaines algues japonaises ont été interdites à la vente, mais on les retrouve dans nos rayons avec la mention “algues pour bain” ; c’est à n’y plus rien comprendre… Pouvez-vous nous éclairer ?
Les algues brunes contiennent une certaine quantité d’arsenic, et les autorités s’en inquiètent… Il s’agit en majorité d’une forme d’arsenic (arséniure) peu réactive, peu biodisponible, extraite naturellement de l’eau de mer par ces algues, et donc non issue d’une pollution. Nul préjudice pouvant lui être imputé n’a jamais été relevé dans la littérature scientifique spécialisée. Néanmoins, l’iziki – algue japonaise, rappelons-le – affiche une teneur moyenne en arsenic supérieure à celle des autres brunes, et ces autorités sanitaires de tutelle n’ont été que trop contentes de l’interdire à la consommation, dégageant ainsi la voie très opportunément pour nos algues nationales, autorisées en bloc quelques années auparavant. L’arsenic de ces dernières se fit très discret… L’iziki étant l’algue alimentaire la plus demandée sur notre marché, les distributeurs ont dû trouver le subterfuge de la proposer pour le bain afin de continuer à en vendre, mais assortie d’un taux de TVA de 19,6 au lieu de 5,5%. Situation hélas hypocrite, et de surcroît pénalisante ! Tout cela cassa l’image de cette algue si bénéfique – consommée en Orient depuis des siècles sans le moindre inconvénient – et ses ventes se sont effondrées. La France, à notre connaissance, reste le seul pays de l’Union Européenne à avoir interdit l’iziki…

Vous organisez et animez des stages réputés et uniques en leur genre. Que pouvez-vous nous en dire ?
“Découverte et cuisine des algues marines en Bretagne” décrit bien la nature de notre rencontre. La découverte physique des algues par marée basse est le “clou” du stage, la prise de contact éblouissante avec ce jardin marin exposé par le retrait des flots que nous évoquions tout à l’heure… On apprend bien sûr à reconnaître celles que l’on peut ramasser – dont beaucoup de variétés ne sont pas commercialisées – puis à les récolter et à les conserver, soit salées, soit séchées. Même les plus réfractaires se réconcilient alors pleinement avec les algues, et apprennent à apprécier leur beauté bienfaisante… Suit la partie en salle, avec cours de cuisine pratique et démonstrative, des conférences sur la nutrition, des diaporamas et vidéoramas, des ateliers et tables rondes avec des producteurs, la visite d’un intéressant musée, etc. Nous faisons tout pour éveiller nos stagiaires à la valeur et à l’utilité des algues…

Tout cela est très studieux, mais… à voir les photos de vos stages, on dirait pourtant des vacances !
Nous aimons en effet transmettre et partager nos passions, dans un cadre convivial et décontracté… éveiller l’enthousiasme et la joie chez ceux qui viennent à nous !

Avez-vous d’autres centres d’intérêts que celui que l’on vient d’évoquer ?
Les arts martiaux internes (en particulier la Bioénergétique taoïste), le Yoga, la randonnée pédestre, le canoë…

Au nom des lecteurs de Sat’Info, un grand merci pour les informations que vous venez de nous communiquer ! Nous avons l’habitude de demander à nos interlocuteurs de nous citer un livre, un tableau et un disque qui les ont particulièrement marqués. Pouvez-vous répondre à cette question ?
De notre part, merci à vous pour l’intérêt que vous portez à notre travail !
• Hélène :
– “La pierre angulaire”, de Zoé Oldenbourg.
– “Le baiser”, de Klimt.
– Pour la musique, je choisis le tango !

• Matéo :
– “Avant que Nature meure”, du Professeur Jean Dorst, du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris.
– “Les canaux de Venise”, de Tintoretto.
– “La Messe en si mineur”, de Jean Sébastien Bach… et le tango, aussi… Mes origines !

Hélène est aussi l’auteur de “Cuisinons avec les algues !” et “Cuisine-santé aux algues marines” aux Éditions Charles Corlet.
Matéo est Consultant en Diététique et Nutrition.
L’un et l’autre sont les animateurs de l’association Plein-être, organisatrice des stages et rencontres : “Découvrez et cuisinez les algues marines en Bretagne avec Hélène et Carole”, exceptionnellement sans Matéo et avec Hélène Magariños-Rey et Carole Dougoud-Chavannes

JM