Le vinaigre balsamique de Modène

Du vinaigre balsamique, on en avait déjà goûté. Mouais, c’était à peine bon. D’ici à en mettre sur les fraises, selon les nouvelles préconisations bobos… On préférait laisser le ridicule investir les assiettes de ceux qui n’ont plus rien d’autre à attendre d’une soirée que la satisfaction d’épater leurs amis… Et puis… Nous avons découvert sur un salon à Bologne le Vinaigre Balsamique de la Fattoria degli Orsi et la surprise fut de taille…

vinaigrebalsamiqueÇa a commencé pépère : veni, vidi, assis. Antonio nous invite à évaluer son nectar et nous en sert un godet… Un godet ? Pour quoi faire ? Pour le déguster, gros benêt ! Et tu vas le finir, ton verre, parce que ça te plaît, et que tu n’y crois pas : du vinaigre, ça ? Mais c’est un autre nom qu’il faut lui trouver, à cet irrésistible sommet de l’aigre-doux ! Il faudrait inventer, composer, se creuser la cervelle ou convoquer un cador de la langue, histoire d’être à la hauteur ! Rabelais, Audiard, Devos ou Frédérique Dard, à l’aide !… Aux armes citoyens, rendons justice aux générations de génies italiens qui ont patiemment élaboré ce liquide !

Tout s’emballe alors, on commande cinq palettes et on se jure de le faire découvrir, de vous le faire apprécier, ce « vinaigre ». Étiquette française, importation Satoriz et tout le tralala dans Sat’Info, on va le gâter. On va vous soigner.

vinaigrebalsamique1« L’or noir de Modène ». C’est ainsi qu’ils en parlent dans les bouquins qu’on a aussitôt consultés. Du baril à la barrique, en somme… Mais ce n’est pas si mal, « l’or noir », et en tout cas beaucoup mieux que le mot « vin-aigre » pour désigner un produit qui n’en est pas un : car son excellence ne passe pas par le stade de la fermentation alcoolique. En clair, il n’y a pas d’étape « vin » dans sa fabrication. Le jus de raisin obtenu de cépages Lambrusco et Trebbiano est travaillé très rapidement après pressurage, de manière à ce qu’il ne fermente pas. Il est lentement cuit à feu doux et ouvert, jusqu’à réduire de plus de moitié pour obtenir ce qu’on appelle « le moût ». Puis on le transvase dans des tonneaux de chêne rouvre et on y rajoute un vinaigre régional. C’est alors que commence une lente maturation constamment surveillée et que le breuvage acquiert son acidité acétique, jusqu’aux 6 degrés propres au vinaigre balsamique et indiqués sur l’étiquette.

La « lente maturation » étant toutefois bien inégale, ce qui nous a valu notre méprise, relatée en introduction. Car plus de 90 % des vinaigres balsamiques présents sur le marché (même en bio) ne sont vieillis que deux mois, enrichis en caramel et parfois même en conservateurs pour combler leurs déficiences (E150d, E224). Le résultat est alors bien loin de ce qu’il devrait être… À la Fattoria degli Orsi, le vinaigre balsamique macère quatre années selon les règles de l’art, ce qui lui vaut les arômes qui nous ont épatés…

Comment les décrire, ces arômes ? Feuille blanche… D’abord parce qu’à la dégustation, l’aigreur prime et les masque quelque peu. Restons sur terre, ce n’est que du vinaigre… Mais on a également l’impression que tous ces goûts ne sont pas officiellement répertoriés au catalogue… La journaliste Nathaly Nicolas y trouve des notes d’abricot, de raisin et de noisette sur une base réglisse-vanille, merci Nathaly !

C’est en tout cas un bien subtil mélange d’acidité et de douceur qui se mariera très facilement tous azimuts, pour peu que l’on soit créatif et inspiré. L’usage le plus universel étant de l’associer simplement à l’huile d’olive, sans sel, poivre ni moutarde. Claudine Demay l’a intégré avec goût et pour Satoriz dans une bien belle salade d’automne « roquefort et marrons grillés », vous la trouverez quelques pages plus loin. La famille Lorenzi, qui l’élabore, nous le conseille avec la viande, le poisson, les légumes crus ou cuits, les pommes de terre bouillies, le parmesan, les fraises… Nathaly Nicolas suggère d’en agrémenter les œufs durs, omelettes, langoustines, fines tranches de jambon de Parme, la mozzarella, la glace à la vanille, les tranches d’ananas rôtis… Plus modestement, on s’en est régalé hier avec Yoyo en en versant quelques gouttes sur une tranche de pain tartinée de Tarama…

Mais surtout, voici un petit message destiné aux virtuoses de la cuisine végétarienne, aux Paganini des légumes vapeurs, céréales variées et autres desserts non lactés : on imagine volontiers qu’avec un tel produit bio, un monde nouveau pourrait s’ouvrir sous vos fourchettes inspirées. Nous comptons sur vous pour nous guider…

« Vinaigre » ou « condiment »

Il y a un véritable engouement mondial sur le vinaigre balsamique. Avec les dérives, arnaques ou simples libertés prises avec la tradition que l’on observe invariablement dès lors qu’il y a un enjeu économique. Il existe un texte, élaboré en 1965, qui régit les règles de bonne production. Plus strict encore, un consortium de producteurs a vu le jour en 1979 pour mieux encadrer ce qui se vend sous le terme d’ « aceto balsamamico di Modena ».
Un bon vinaigre balsamique se doit d’avoir trois ans de maturation. Le produit est alors particulièrement plaisant mais se vend à un prix raisonnable (5,49 euros les 500 ml pour celui de la Fattoria degli Orsi). Toute autre chose est le condiment, « l’aceto tradizionale di Modena ». Le produit est alors vieilli de 12 à 25 ans et les prix flambent réellement. La bouteille, standardisée à 100 ml, se vend plus de 100 euros… Un must, responsable d’une grande partie du snobisme qui entoure le produit. A notre connaissance, il n’existe pas en bio. Et qui l’achèterait, d’ailleurs ?

Ce condiment, il ne nous a pas encore été donné l’occasion de le goûter. Mais bio ou pas, nous serions partants…

Juste un chouïa d’histoire…

Impossible de trouver une date de naissance pour le vinaigre balsamique. On sait toutefois qu’il était déjà un cadeau prestigieux au treizième siècle ; que Casanova s’en délectait avant ses galipettes… que Napoléon a pillé les plus somptueuses caves de Modène afin d’en revendre le vinaigre, contribuant ainsi à le faire connaître…

Le terme « balsamico » n’apparut qu’en 1747, tiré du mot « balsamiche », « qui donne du baume » : il est vrai qu’on prête au liquide des vertus médicinales, qui restent à prouver… Mais si c’est vraiment bon, c’est favorable à la vie. Qui nous soutiendra le contraire ?

Quant au vinaigre balsamique tel que nous le connaissons, il est né en 1860, suite à la mise au point définitive de la recette avec cuisson du moût, que l’on doit à un avocat Modénais.

(D’après Nathaly Nicolas « Le vinaigre balsamique », Edition du Rouergue)

JM