Le tofu Soy – Entretien : Bernard Storup

soy1C’est l’histoire d’un mec… Bernard Storup en l’occurrence, qui ne demandait rien d’autre que de faire du tofou. Pas déçu, Bernard. Près de vingt-cinq ans après ses débuts, la société Nutrition et Soja, qu’il dirige, cartonne avec sa marque Soy, incontournable dans les rayons bio. L’entreprise est certainement une des plus balaise que l’on puisse visiter en France : grande, propre, lumineuse, moderne, ça baigne.

Pas facile pour autant. Avec le tofou aujourd’hui, on n’est plus chez les babas. Et Bernard se coltine des sujets qui n’ont plus rien à voir avec les doux rêves alternatifs. Quand on joue dans la cour des grands, c’est un peu la règle, pour sûr… C’est un peu la règle, mais c’est quand même un petit peu plus compliqué et visible dès qu’il s’agit du soja : une très grosse histoire où l’idée du bio n’est pas à l’abri de se fracasser sur celle des OGM, où les lobbys américains jouent avec les pioupious européens, où le lobby laitier, pas vraiment réputé enfant de cœur, n’en mène pas bien large, où la pharmacie s’invite alors qu’elle n’était pas attendue, où l’administration se pique de jouer les arbitres en taclant les joueurs…

Alors… C’est comment qu’on freine? Même pas. Bernard avance, peinard. Ou presque. Il nous parle de son métier avec passion, des gens qu’il côtoie avec affection et garde un enthousiasme dont beaucoup se seraient départis dans un tel contexte. Il ouvre le sac à embrouille devant nous et n’hésite pas à revenir sur le passé pour mieux nous éclairer. Pour que tout soit transparent, blanc comme tofou. À la hauteur de la confiance que nous avons en lui.

Les débuts

On ne parlait pas trop de soja en France dans les années 70…
J’ai eu la chance de traverser les États-Unis dans plusieurs sens, dès 18 ans. J’étais macrobiote à l’époque, très strict. Première rencontre avec le soja en Californie. J’ai trouvé ça très bon… C’était une tarte au citron faite sans lait, sans crème, sans beurre… ça m’a d’autant plus surpris que mon père était laitier de profession ! Puis j’ai goûté au tofou, et j’ai tout de suite eu envie d’apprendre à en fabriquer… Quelques années plus tard, et après une expérience professionnelle en laiterie, je suis revenu aux États-Unis. Pendant un an, j’ai visité des fabriques de tofou, sur une durée de trois jours à trois semaines. J’avais la liste des entreprises et voyageais de l’une à l’autre, de la Floride à l’Orégon, en étant très bien reçu à chaque fois.

soy2L’idée a tout de suite été d’en fabriquer par chez nous ?
Au bout d’un an dans ces fabriques, j’ai rencontré un français, Jean de Préneuf, qui est devenu mon associé par la suite. On s’est simplement dit : si on faisait connaître le tofou en France ? L’idée était de démarrer à Paris, ce qu’on a fait en 81. On a bricolé avec du matériel d’occasion et on a vendu notre tofou aux restaurants japonais de Paris, qui l’ont vraiment apprécié, ce qui nous encourageait. Pas de suremballage à l’époque, on le transportait dans un seau rempli d’eau ! On a fini par l’emballer pour le proposer aux magasins, un an après. D’entrée, on s’est dit que si l’origine du produit est asiatique, ce n’était pas pour autant ainsi qu’il faut le présenter : il y a tellement de possibilité de cuisiner le tofou qu’on a voulu le faire à la française, dès le départ. On a sorti les premières recettes de Croque tofou « ail fines herbes », « champignons » ou même « à la provençale », qui ne sont pas spécialement asiatiques…

Vous étiez les premiers sur ce genre de recettes ?
En France, certainement. Mais ce n’était pas glorieux pour autant, au début on n’en vivait pas vraiment… On voulait avant tout se faire plaisir et faire découvrir le tofou. Dès qu’on avait trois sous, on achetait du matériel. On travaillait dans un hangar pas vraiment adapté à l’agroalimentaire, et on était bien conscient qu’il fallait que ça change… Pour évoluer, nous avons eu l’occasion de nous installer à Saint Chamond en 87, entre Auvergne et Rhône-Alpes, où la municipalité faisait des efforts pour nous accueillir. À notre grande satisfaction, la dizaine de personnes qui travaillait avec nous à Paris a accepté de nous suivre.

soy3Vous vous êtes finalement lassés de la région ?
Notre dernier déménagement a été le fruit d’une opportunité : on avait lancé le lait de soja en 90, et en 1993, le groupe Nutrition et Santé nous a appelés, d’ici, à Revel dans le Sud Ouest. Le fait que nous fabriquions du lait de soja les intéressait. Comme le bâtiment de Saint Chamond s’est à nouveau avéré être trop petit, on a trouvé intéressante l’idée de s’installer ici, ce qui était aussi favorable à notre activité. Deuxième satisfaction, la plupart de nos collaborateurs nous ont à nouveau suivis.

En quoi le fait de choisir le Sud-Ouest vous était-il favorable ?
Nous travaillions depuis nos débuts avec des producteurs de soja du Sud-Ouest… Voilà qui nous donnait l’occasion de nous rapprocher d’eux. Cela confortait totalement la vision que nous avons du bio : avoir des contacts avec ses producteurs. Il faut savoir que ce n’est d’ailleurs pas choisir la voie de la facilité, la plupart des intervenants de la filière soja achetant en Amérique du sud. Celui que nous achetons ici à nos producteurs est 25 % plus cher. Mais cet effort que nous faisons, les producteurs nous le rendent bien : l’année de la sécheresse par exemple, il était évident qu’ils nous réserveraient leur soja. Autre raison technique qui donne un grand intérêt à cette région du Sud-Ouest : la qualité de l’eau. À Paris, ça posait problème…soy5

L’entreprise se trouve ici. Sympa, non ?
En Rhône- Alpes, c’était bien. Le hasard a fait qu’ici, la qualité de l’eau est naturellement excellente, sans aucun traitement. J’en profite pour rappeler que dans un litre de lait de soja, il y a 90 % d’eau… C’est donc un élément primordial dans la qualité de ce que nous faisons, tous les fabricants de lait de soja ne sont pas si bien lotis…

L’affaire…

Nutrition et soja t’appartenait-il encore ?
C’est à ce moment-là qu’on l’a vendu au groupe qui nous a accueillis, Nutrition et Santé, en 93. Sans état d’âme particulier, parce qu’on n’a jamais vraiment eu le sentiment que cette société nous appartenait. À certains égards, on fonctionnait d’ailleurs plus comme un kibboutz que comme une véritable entreprise.

Ça a été aussi le début des ennuis, non ?
Ça s’est avéré être positif… après coup ! On appellera ça « l’histoire Novartis ». Le groupe qui nous a rachetés, Nutrition et Santé, a lui-même été racheté par différentes structures… Sandoz en a été propriétaire. Puis Sandoz a fusionné avec une autre structure et a donné Novartis, tourné vers l’agrochimie, la pharmacie… puis vers les OGM. Sans que nous n’y soyons pour rien, nous avons fini par devenir une filiale de Novartis… Réaction dans le milieu : Novartis, promoteur des OGM, essaye de manipuler le bio ! Mais Novartis s’en tapait complètement, du bio ! Un truc pas sérieux du tout pour des gens qui sont quand même chimistes, à la base… Novartis s’est intéressé au groupe Nutrition et Santé, dont nous n’étions qu’une petite partie, parce qu’à l’époque, c’était la grande mode des alicaments, des « aliments santé ». Des aliments qui allaient soigner les maladies… Un discours qui a d’ailleurs fini par laisser des traces, puisqu’aujourd’hui tous les grands de l’agroalimentaire ont des allégations santé derrière leurs produits.

Cela a-t-il été dur de se retrouver malgré soi rattaché à ces gens-là ?
La première année, oui, parce qu’on a été montré du doigt par des gens qui pensaient avoir dénoncé le complot du siècle… Ce qui a été intéressant, c’est que nous avons en premier été défendu par nos producteurs : eux savaient que nous menions des recherches dans le Sud-Ouest pour trouver les meilleures variétés de soja et soutenir une filière française bio, dans un contexte d’OGM qui commençait à prendre de l’ampleur.

Les OGM

Tu étais donc catalogué comme un émissaire de Novartis, et donc pro OGM, alors que tu luttais contre eux !
C’est ce que j’ai expliqué des dizaines de fois ! Nous n’avions pas souhaité ça, et n’avons jamais rencontré les dirigeants de Novartis. Au bout du compte, pour répondre à mes détracteurs, je faisais comprendre que le problème n’est pas de consommer du tofou Soy… il en existe d’autres, aussi bons. Mais d’être sûr que dans dix ans, on puisse toujours consommer un tofou ou un lait de soja qui ne soit pas issu d’OGM ! En créant une filière française, nous allions dans le bon sens. Nous avons de plus rédigé un cahier des charges non OGM (nous en sommes aujourd’hui à la version 16) avec les agriculteurs, qui nous met en première ligne dans la lutte anti OGM en France.

soy6Les recherches sur les traces d’OGM que vous faites donnent-elles occasionnellement des résultats probants ?
Il y a parfois un « bruit de fond », non quantifiable, qui laisse entendre qu’il y a contact avec des OGM. À ce stade-là, on peut détecter, mais non quantifier. On est de toute matière très en dessous de ce qu’autorise la loi, soit un taux de 0,9 %. Notre recherche au niveau des semences de soja se situe au taux de détection de 0,01 %, ce qui correspond à environ une graine sur dix mille ! Concrètement, cela veut dire que nous refusons tout lot de semences qui présenterait ne seraitce que la moindre trace d’OGM… Une toute autre rigueur que ceux qui achètent du soja bio en Amérique du sud et font une analyse toutes les mille tonnes… Je crois vraiment que la traçabilité sur des produits locaux que nous avons mise en place pour nous mettre à l’abri des OGM nous donne le maximum de garanties.

Pour revenir à l’affaire, y a-t-il eu des boycotts sur vos produits ?
Oui. Cette histoire Novartis a finalement eu le mérite de nous permettre de pousser la réflexion jusqu’au bout. Nous avions vendu notre société et avions la possibilité de partir devant un tel état de fait. Mais c’est quand les choses ne sont pas évidentes que ça devient intéressant… Ceci dit, si on avait pu redevenir indépendant, on l’aurait fait… C’est toujours un peu vexant de passer pour un tricheur quand on essaye de faire à peu près bien les choses !

Quelle est la situation aujourd’hui ?
Novartis ne s’est finalement jamais intéressé à notre activité. Ce ne sont pas des métiers où l’on gagne de l’argent, par rapport à la pharmacie. Depuis le 17 février 2006, nous en sommes sortis et appartenons maintenant à un groupe bancaire. Ça ne change rien à ce que nous faisons, nous sommes autonomes.

Soja et santé

soy7Pourquoi manger du tofou ?
Et consommer du lait de soja… Au début, nous nous positionnions comme l’alternative végétale aux protéines animales. Je crois avant tout que les produits végétaux permettent de rééquilibrer notre alimentation. Ce qui ne veut pas dire arrêter de manger de la viande. Des personnes qui mangent un jour du bœuf, un jour de la volaille, un jour du poisson peuvent manger un jour du tofou, un autre du seitan. Actuellement, les nutritionnistes sont tous d’accord : les deux tiers des protéines que nous consommons sont des protéines d’origine animales, alors que ça ne devrait pas excéder 50 %, voire moins. Le tofou permet d’aller plus facilement dans le sens de l’équilibre. Il ne contient pas de cholestérol, se trouve être digeste et riche en minéraux… Mais il ne faut pas, selon moi, en faire un aliment miracle. Il a de grandes qualités nutritionnelles, mais il n’y a rien, dans le monde végétal ou animal, qui soit une panacée : tout réside dans l’équilibre ! Notons qu’il est amusant de le cuisiner. On peut vraiment en faire de très bons plats, il faut juste faire l’effort d’y consacrer quelques minutes. C’est la raison pour laquelle nous avons fait nos préparations, histoire de dire : regardez, goûtez ce que l’on peut faire ! Mais la finalité, c’est de préparer soi-même sa recette avec du tofou nature.

soy8Les Asiatiques en mangent-ils vraiment beaucoup ?
Oui, mais quand on dit qu’ils sont végétariens, ce n’est pas vraiment exact… Les chinois mangent beaucoup de volaille, de porc, les Japonais du poisson… Peu de bœuf parce qu’il y en a peu chez eux et que ce n’est pas leur culture. Mais le soja, notamment consommé avec du riz, permet une très bonne complémentarité des acides aminés, une association que l’on retrouve dans beaucoup de cultures*. Cela fait plus de 2000 ans qu’il se consomme du tofou en Asie ! Le lait de soja, par contre, est d’une utilisation beaucoup plus récente. Cela ne fait guère plus d’une trentaine d’années qu’ils en consomment.

*Riz-soja ici, maïs-haricots rouge en Amérique du sud, blépois chiches sur le pourtour méditerranéen, blé-lentille ailleurs…

On entend dire que le lait de soja n’est pas forcément recommandé aux enfants ?
Si l’on parle des très jeunes enfants, c’est sans doute vrai. Mais a-t-on suffisamment de recul pour le savoir ? Les Asiatiques n’en donnent pas aux leurs, traditionnellement. On sait que le lait de soja est intéressant en protéines, mais déficient en calcium (à la différence du tofou, qui en contient beaucoup)… Nous ne sommes pas pédiatres, mais il nous semble qu’en donner aux enfants de moins de six mois, c’est-àdire à ceux dont l’alimentation n’est pas différenciée, est une hérésie. À ce jour il n’y a cependant aucune étude scientifique sérieuse qui ait conclu à un quelconque danger pour les enfants. Les petits garçons ne se transforment pas en petites filles, comme on a pu le lire dans certains articles, pas plus qu’ils ne deviennent stériles : si c’était le cas, les chinois s’en seraient aperçus, non ?!… En ce qui nous concerne, n’ayant pas le recul de la tradition, nous préférons la prudence.

Le débat fait rage même pour le tofou…
…parce qu’on le considère quelquefois comme source unique de protéines. Passé un temps, je voulais communiquer sur l’idée « Y’a pas que le tofou dans la vie ! ». Les gens me demandent : combien peut-on en manger par jour ? 200, 300, 500 grammes ? La réponse est claire, il n’y a aucune protéine, animale ou végétale, que l’on puisse consommer sans problème quotidiennement en de telles quantités, à part peut-être le riz complet. Allez, le bon dosage pourrait être d ‘un ou deux Croq’tofou par jour, ce serait bien pour le commerce ! (rires).

Quand l’administration s’en mêle…

L’ AFSSA*est encore beaucoup plus mesurée sur les doses quotidiennes…
L’AFSSA a été saisie par la répression des fraudes il y a quatre ans pour estimer les risques et les bénéfices des phyto-oestrogènes, tout d’abord dans les compléments alimentaires. Grâce aux isoflavonnes de soja, censées traiter les problèmes liés à la ménopause, et utilisées sous formes concentrées, des laboratoires ont en effet mis sur le marché des compléments alimentaires positionnés en tant que traitements hormonaux des symptômes liés à la ménopause… Dans la foulée, l’AFSSA en a profité pour se pencher sur l’aliment soja, et notamment celui qui est destiné aux enfants… Son travail de compilation des données scientifiques provenant de près de 1 500 études a duré deux ans et demi et a été extrêmement bien fait. Chaque expert (toxicologue, nutritionniste, cancérologue etc…) a rendu son rapport, tous de très haut niveau. Mais à la fin, l’AFSSA a présenté une page de synthèse dans laquelle apparaissent trois recommandations, complètement déconnectées de l’étude* ! C’est bien sûr cette synthèse qui a été envoyée aux médecins et qui a presque force de loi… Le lendemain de la publication de ces conclusions, l’information passait en boucle sur France-info…

*Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments

Quelles étaient ces recommandations ?
Limiter sa consommation d’isoflavonnes, alors qu’il n’y a pas de méthode d’analyse normalisée pour les quantifier, ce que précisait bien l’étude ! On peut trouver des résultats de 1 à 10 sur un même yaourt ! Ils préconisent aussi d’afficher le taux d’isoflavonnes sur les emballages, ce qui n’est pas possible, pour les mêmes raisons. Intéressant : les études effectuées depuis des années sur les populations asiatiques, concluant à l’absence de tout risque pour la santé n’étaient pas retenues comme pertinentes, alors qu’ils ont tenu compte d’une étude très controversée faite… sur des singes, à qui on avait injecté des doses massives de certains composés d’isoflavonnes ! Ils ont enfin déconseillé le soja aux enfants de moins de trois ans. Pourquoi trois ans ? Pas une seule étude du rapport ne le stipulait…

* L’AFSSA a fait le même coup lorsqu’elle a étudié les avantages nutritionnels comparés des aliments conventionnels et bio. Le rapport, très sérieux, établissait le fait qu’il y avait moins de pesticides et plus d’aliments nutritionnels intéressants dans les produits bio. Les conclusions du rapport furent pourtant les suivantes : le bio n’est pas meilleur pour la santé ! On sait depuis longtemps que l’AFFSA est sous influence des laboratoires pharmaceutiques et de l’industrie agroalimentaire. Son dernier président l’a confirmé publiquement à l’occasion de sa démission…

soy9Pourquoi de tels agissements ? Est-ce dû à des pressions des lobbies laitiers ?
Pas forcément… Il faut savoir que le lobby du soja est peut-être encore plus puissant que le lobby du lait au niveau mondial, mais qu’il est majoritairement sous influence américaine. Or, les Américains ont toujours vu d’un mauvais œil le développement de la filière soja en Europe, leurs exportations pouvant diminuer… Dans les années soixante-dix, ils ont même fait pression sur les gouvernements européens en décidant d’un embargo sur le tourteau de soja pendant quelques mois, tourteau qui nourrit majoritairement… nos vaches ! On peut d’ailleurs constater que dans la foulée il n’y a jamais eu de vraie volonté européenne de développer la filière soja en Europe. Les campagnes de déstabilisation dont on parle ont-elles un lien avec tout ça ? Difficile de le dire, c’est très complexe… D’autant plus que côté pharmacie, depuis l’arrivée des compléments alimentaires à base d’isoflavones de soja, la vente des médicaments traitements hormonaux de substitution traditionnels a diminué de moitié, ce qui ne doit pas arranger tout le monde non plus…

Cette désinformation a-t-elle déstabilisé les consommateurs ?
La polémique nous a faits très mal, commercialement parlant, l’année dernière. Mais le monde médical a réagi. Des spécialistes de très haut niveau se sont élevés contre ce rapport et ont rétabli certains faits. On ne peut pas dire n’importe quoi ! Mais on sera attaqué de nouveau…

Tu proposes également une autre protéine végétale à cuisiner, le seitan. Que peux-tu en dire ?
Le seitan provient de la protéine du blé. C’est également un produit traditionnel d’origine japonaise. Il permet aussi de varier son alimentation, et il est bon de le consommer avec des légumineuses. Seul, il est très intéressant aussi, bien que peut-être moins complet que le tofou.

soy10Tofou et seitan se démocratisent-ils ?
Oui, surtout le tofou. Il est à la mode, les « people » en mangent, monsieur tout le monde aussi…

Tes galettes de céréales, les « grinioc », connaissent aussi un gros succès.
Je crois vraiment que ces galettes sont la meilleure manière de consommer des céréales. Chacun peut apprendre à les faire par soi-même, et les « grinioc » me semblent être une bonne manière de les faire connaître et apprécier.

Quant à la crème soya-cuisine, ce n’est plus un succès, mais un plébiscite !
C’est une crème entièrement végétale qui remplace la crème fraîche, aussi bien pour des préparations salées que sucrées. Aujourd’hui, le goût du soja n’y est pratiquement plus perceptible alors que nous n’avons pourtant recours à aucun arôme. On améliore régulièrement la recette depuis qu’elle existe.

Les emballages

Tu nous as parlé de la période où tu transportais le tofou dans un seau d’eau… Puis celle où tu as emballé tes galettes végétales. Il y a une bonne dizaine d’années, tu as choisi de glisser tes produits dans un étui carton. Cela a beaucoup contribué à faire connaître le tofou, et tout le monde en a profité… Aujourd’hui, il est nécessaire de faire autrement. Comment comptes-tu procéder ?
Il est évident qu’il faut aujourd’hui travailler sur les emballages. En insistant sur le sujet, Satoriz nous pousse à aller plus vite que nous l’avions prévu. Mais c’est une bonne chose ! Il nous faut toutefois être sûr de faire le bon choix : on pourrait commencer par faire des emballages d’un seul bloc plastique, sans suremballage mais non compostables. Est-ce que ce ne serait pas faire les choses à moitié ? D’autant qu’acheter une nouvelle machine est un investissement lourd, que l’on ne fait que tous les sept ou huit ans. Nous cherchons à aller donc dans le sens de nouveaux matériaux, biodégradables. Et devons acheter la machine qui nous permettra d’utiliser ces matériaux.

croque-tofuMais avant de trouver cette solution quasi idéale, n’est-il pas possible de revenir en arrière et de supprimer la couche d’emballage supplémentaire qui n’existait pas il y a quelques années ?
Bien sûr… Le meilleur emballage n’est d’ailleurs pas bio dégradable, c’est celui qu’on n’a pas besoin de mettre… Nous aurons peut-être un problème de délais pour être en phase avec le calendrier de Satoriz, fixé à janvier 2007. Mais on va essayer ! Ce qui est sûr, c’est que toutes ces actions vont dans le bon sens. Nous avons nous aussi nos propres voies pour aller vers une entreprise citoyenne, préoccupation partagée par nos équipes qui sont très concernées. Nous avons déjà créé une station d’épuration de nos eaux, qui ne sont pas polluantes mais trop riches en matières organiques… De ce fait, elles auraient pu destabiliser l’écosystème local. Nous réfléchissons aussi à l’idée d’une éolienne qui nous fournirait l’électricité dont nous avons besoin…

Tu connais Sat’Info depuis longtemps… Tu as certainement déjà en tête les trois réponses à nos questions rituelles : si tu avais à retenir un livre, un disque, un tableau ?
– Je lis énormément. S’il faut ne retenir qu’un livre, ce sera le plus gros… Il s’agit de L’histoire du monde, écrit par un collectif d’universitaires. Un ouvrage de synthèse depuis le néolithique jusqu’à aujourd’hui. Plusieurs volumes, quelques milliers de pages… En dix ans, j’en suis toujours au premier volume, à la page 800, au huitième siècle. C’est la colonne vertébrale de ce que je lis par ailleurs, c’est d’après cette lecture que j’en fais d’autres… Sur l’Égypte ancienne, la Mésopotamie qui m’a fait lire Bottero, le monde Grec, sur lequel j’ai passé deux ans, l’empire romain, qui m’a amené à lire Suétone, Marc-Aurèle ou Procope, aussi bien que deux fois les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, etc… À ce train-là, il faudra que je vive jusqu’à 120 ans pour finir l’ouvrage !
– J’aime le jazz… J’écoute du jazz moderne, Portal, Texier, Sclavis, mais le musicien que je retiens parmi tous, c’est John Coltrane… Il a transcendé tous les genres musicaux et je ne m’en lasse pas. S’il faut choisir un disque, je retiendrais Soul Trane, le classique des classiques… – En matière de peinture, je suis très ouvert et n’ai pas de réelle préférence. J’aime faire les musées, voir les collections privées et m’arrêter longtemps dans chaque salle, devant chaque toile… Je prends mon temps, et lorsque l’exposition est bien faite, j’aime mémoriser chaque œuvre, à son emplacement…

Une filière bio dans le Sud-Ouest : OUI, OUI, OUI !

La filière de soja bio française du Sud-Ouest, largement soutenue par la société Nutrition et Soja (Soy), mérite d’être considérée au-delà de la simple satisfaction franchouillarde :
– la consommation de ce soja permet de diminuer très largement les frais de transport induits par les importations en provenance d’Amérique du Sud.
– ce soja bio constitue un des rares oasis de graines non trafiquées face aux cultures d’OGM de plus en plus prégnantes.
– il bénéficie de plus de garanties anti-OGM que tout autre soja bio produit dans le monde.

filiere-sojaMoins évident et tout aussi important, la consommation de soja du Sud-Ouest est un acte qui participe d’une logique écologique plus vaste encore. En privilégiant les protéines végétales, on diminue la part de protéines animales produites dans le monde, ce qui n’est pas sans conséquences économiques et environnementales de premier ordre. Le bétail n’est en effet plus nourrit d’herbe aujourd’hui, mais majoritairement de maïs et de soja. Le maïs est très polluant et gourmand en eau lorsqu’on le produit n’importe où. Quant au soja qui nourrit nos cheptels, il est majoritairement OGM et importé, tant en provenance d’Amérique du nord que du sud. Or la culture du soja destiné au bétail prend ces temps-ci des proportions désastreuses : c’est pour le produire que l’on déforeste l’Amazonie, entre autres. Consommer moins de viande et davantage de protéines végétales est de ce fait assurément un acte citoyen. Pour résumer une situation paradoxale, on peut dire que consommer du soja français permet d’éviter de mal produire ailleurs un soja plus que discutable, majoritairement destiné au bétail.

Tout aussi importantes que la déforestation et la lutte anti OGM, voici quelques considérations sur les émissions de CO2 liées à différentes pratiques agricoles. Il s’agit d’un court extrait d’un texte tiré du numéro 20 de la remarquable « Revue du Durable ». « Gidon Eshel et Pamela Martin, de l’Université de Chicago (…) ont comparé la quantité d’énergie fossile nécessaire pour cultiver et traiter divers aliments, faire rouler les machines agricoles, fabriquer les engrais nécessaires pour faire pousser la nourriture pour les animaux, la moissonner, la transformer et la transporter (…). Expert en émission de (…) gaz, Jean Marc Jancovici a calculé celles dues à différents produits. Pour visualiser les différences, il les compare à des kilomètres parcourus en voiture. Ainsi, 1 kg de veau émet autant de gaz à effet de serre qu’un trajet de 220 km en voiture. 1 kg de bœuf, c’est déjà mieux : 80 km. 1 kilo de gruyère : 60 km. 1 kilo de poulet : 10 km. Les mêmes produits d’origine biologique sont nettement moins polluants, car ils économisent l’énergie des engrais. Le kilo de veau passe à 150 km, celui de bœuf à 50 km et le kilo de gruyère à 40 km. Quant au kilo de pomme de terre ou de blé, il équivaut à peine à sortir la voiture du garage… ».

JM