Le moka, de la terre à la tasse

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Le café sauvage, en forêt, sous la pluie.

C’est l’histoire d’un très beau pays, l’Éthiopie. Un pays aux paysages variés, parfois luxuriants, souvent montagneux et verts, loin de l’image aride réductrice que de tragiques événements ont collée à son destin. C’est l’histoire d’un pays fier, le seul d’Afrique à n’avoir jamais été colonisé : à peine fut-il envahi quelques années par L’Italie. C’est l’histoire de la probable terre d’origine de l’humanité, ici ou non loin de là, quelque part en Afrique.

Mais ces pages seront avant tout l’occasion de conter l’histoire d’une des denrées les plus consommées au monde, découverte en Éthiopie : le café.

C’est l’histoire… d’une petite chèvre ! Celle du berger Kaldi, plus curieuse, gourmande et hardie que les autres, qui s’aventura à goûter les petites baies rouges qui alourdissent les branches de nombreux arbustes, dans la forêt. Elle s’en trouva fort gaie.Kaldi remarqua l’entrain inhabituel de l’animal et s’enquerra de la baie en question. Il venait de découvrir le café !

Ainsi court la légende, depuis des siècles, en une terre où tous les historiens s’accordent effectivement pour situer l’origine du fruit qui donne lieu au breuvage. Nous sommes au sud d’Addis Abeba,dans la forêt de Kaffa.

De la forêt de Kaffa vient certainement le mot  «kawa »…

 

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Dans la main d’Amadou : la baie fraîche et la baie sèche.

Un « kawa » qui ne devint la boisson que nous connaissons que grâce à des commerçants aventuriers qui repérèrent la baie en Éthiopie pour la ramener dans leur pays, au tout proche Yémen. C’est de là qu’ils firent connaître le café au monde entier, par le biais des pays arabes voisins. Vous connaissez à présent l’origine du mot « arabica » ! Pour terminer l’histoire, il vous reste à   savoir que ces cafés arrivaient au Yémen par le port de Moccha. Un nom qui donna naissance à une provenance aujourd’hui mythique, le « moka ».

Ainsi le moka désigne-t-il les variétés d’Éthiopie. Nous avons parcouru le sud du pays, sur les traces de l’origine du café, à la découverte de ses traditions : 5 000 kilomètres sur de rares routes et nombreux chemins caillouteux, à travers hauts plateaux et forêts, à la rencontre des multiples ethnies quiconstituent le peuple éthiopien. À la rencontre… Rencontres parfois furtives, tant les longs trajets emplissaient les journées ; mais souvent fortes ! Rencontres qui changeront à jamais notre vision du café.

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Le travail traditionnel : Momina sépare le grain de son enveloppe, la parche (Harar).

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Cueillette du café sauvage, au sud des montagnes du Bailé.

Le moka pousse facilement, à quelques conditions : l’altitude, qu’il trouve facilement ici, des milliers d’hectares plafonnant à 2000 mètres sans que rien dans la flore ne le laisse supposer. Le soleil, dont il ne manque pas plus que d’eau, sous des latitudes proches de l’équateur. Quant à l’ombre nécessaire, elle est omniprésente dans les forêts où le café pousse à l’état sauvage.

C’est dans ces forêts que le trouvent les villageois. Momina, la paysanne chez laquelle nous nous sommes attardés près de Harar, récolte les baies, les sèche et décortique seule, en de très beaux gestes ancestraux. Elle produit quinze kilos de café… les bonnes années.

Ailleurs, d’autres en transforment manifestement plus : les grains sèchent au bord des chemins ou devant les portes des demeures sur des bâches de plusieurs mètres carrés, sans beaucoup plus de richesse apparente pour autant… Ainsi va l’économie de la petite débrouille, où chacun subsiste grâce à de menues productions, de bien maigres ventes…

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Les graines dépulpées « fermentent » dans les bassins.
Celles qui remontent à la surface sont recueillies et seront
déclassées (Yrga Cheffe)

Le moka que l’on consomme partout dans le monde n’est bien entendu pas obtenu comme cela… De petites coopératives s’organisent autour de sa production, de sa préparation. Au niveau de la culture pourtant, bien peu de chose le distingue de celui que nous avons vu à l’état sauvage. Il pousse à l’ombre de bananiers ou d’autres arbres fruitiers, à proximité des huttes, en des lieux que l’on appelle « jardins de café ». Rien de comparable avec les énormes plantations d’Amérique du sud ! Seule différence avec le café sauvage : on met en terre ça et là quelques plans, pour augmenter le nombre de caféiers disponibles. Et l’on épand parfois à leur pied la pulpe du fruit, unique engrais recensé en Éthiopie. Des soins en cas de problèmes ? Des produits de synthèse ? Les arbustes n’étant pas sujets aux maladies à une telle altitude, nul risque pour le producteur de mordre à l’hameçon des pesticides… Sachant de plus qu’ici, personne n’aurait les moyens de s’en procurer. Après avoir été récolté, le café doit être travaillé. Deux techniques différentes peuvent alors être employées : l’une permet d’obtenir des cafés dits « natures » ou « séchés ».

Pour ces derniers, on expose au soleil la graine avec sa pulpe, jusqu’à devenir noire et friable. C’est ainsi que l’on travaille les « Harar » et « Djimmah », au goût à peine corsé. L’autre technique permet d’obtenir les plus subtils cafés « lavés »: aussitôt après récolte, la baie est mécaniquement séparée de sa pulpe, grâce à une machine qui n’a rien de compliqué.

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Le travail sur les claies : les grains sont séchés et triés (Limu).

Le grain obtenu est alors immergé dans de grands bassins où il fermentera, de 48 à 72 heures. Après cette étape, il séchera quinze jours sur des claies, constamment trié et bichonné : on le recouvre d’une toile lorsque le soleil est à son apogée, d’une bâche à l’approche de la nuit… Parmi les cafés lavés se distinguent les « Limu », « Yrga Cheffe » et le très réputé « Sidamo ».

Nous nous sommes attardés dans les coopératives : soins, triage… Puis à Addis Abeba, où le grain est acheminé pour être séparé de la « parche », la fine pellicule qui le recouvre : soins, triage, contrôles… Sur les lieux de vente enfin, où les meilleurs lots s’arrachent à « la criée », pour l’export : impitoyable sélection, qui recale les moins bons pour le marché local… Nous dirions pour résumer le chapître production que la petite baie de café pousse toute seule. Soit. Qu’elle subit par la suite un travail conséquent pour devenir un café consommable. Mais jamais nous n’aurions imaginé que les étapes de sélection, de dégustation et d’évaluation soient aussi nombreuses avant que le café puisse être estampillé « moka » : avec contrôle gouvernemental et scellage final des camions, autorisant enfin le départ pour Djibouti où des bateaux l’attendent.

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Les « jardins de café » de la coopérative Kolla : les caféiers
poussent à proximité des huttes sous les ensets, arbres cousins
des bananiers (Sidamo).

Tant de soins ne sauraient se comprendre s’ils n’étaient liés à une tradition forte : la cérémonie du café est une véritable institution en Éthiopie, où tout se déroule dans la lenteur, loin de l’excitation qui règne chez nous autour des machines à café ! Ce qu’on en retiendra dépasse le mot aujourd’hui banalisé qu’est la convivialité : on boit le café en invitant les familles voisines, à tour de rôle, en un réel moment de partage. Ce sont les femmes qui le préparent, laissant longuement infuser la boisson dans des cafetières posées sur des braises, pendant que d’autres braises diffusent de l’encens. Le café sera servi à trois reprises, d’une  même mouture, chaque fois plus doux et léger.

Celui que nous avons dégusté à cette occasion nous a ravi, agrémenté d’une herbe fraîche locale qui parfume intensément la tasse en quelques secondes. D’autres nous ont surpris, lorsque beurre fondu et sel les accompagnaient… Ah, les goûts, les couleurs et les traditions… Il est arrivé aussi que des tasses nous attristent : nous l’avons dit, les moins bons lots de café sont réservés au marché local ; on déplore alors que le peuple éthiopien soit exclu d’une fête qu’il prépare pourtant pour le monde entier.

Les mokas sont doux, très recherchés par les vrais amateurs. Tout le monde les apprécie, si l’on excepte les consommateurs qui recherchent à tout prix force et puissance. L’un d’eux, le « Sidamo », est avec le « Blue mountain » jamaïcain le café le plus réputé au monde.

À la dégustation, l’acidité, de faible à soutenue selon les provenances, est la première sensation perçue par le palais. Les arômes se révèlent dans un second temps, subtils, floraux, parfois sauvages mais jamais intenses. Le moka se boit à tout moment de la journée, y compris le soir, son taux de caféine étant très faible : jusqu’à quatre fois moindre que celui d’un robusta*.

moka8* de 1 à 1,3 % pour le moka, jusqu’à 4 % pour le robusta

Sa délicatesse séduit les amateurs de thé, qui s’y retrouvent aisément. Élément de dégustation intéressant : les mokas s’accommodent très bien des cafetières expresso, mais distillent également toute leur finesse avec une simple cafetière filtre. Juste retour des choses : le café originel peut ne pas s’encombrer de technologie.
Aujourd’hui, après un tel voyage, la tasse de moka a pour nous un parfum singulier qui s’ajoute aux arômes : celui de la chaleur que procure le fruit d’un travail humain, réalisé avec soin, à petite échelle. Celui des sous-bois, des petites mains qui choisissent les baies une à une, des panières en osier qui les accueillent. Celui de la nuit tombant au moment des derniers sacs arrivant à Kolla, l’exemplaire coopérative qui nous procure le Sidamo.

L’Éthiopie n’est qu’un tout petit pays sur l’échiquier mondial du  café**. Elle en est pourtant le coeur, assurément.

** 2 % de la production mondiale

 

Choisir son Moka

Nous vous proposons de déguster deux mokas de provenances distinctes et un mélange, pendant deux mois, dans tous les magasins Satoriz. Voici quelles en sont les notes aromatiques :

Le Moka Djimmah

Un grand classique des arabicas natures séchés au soleil. L’acidité est légère à moyenne. Le corps, légèrement corsé, reste discret.

Le Moka Sidamo

Le grand cru d’arabica lavé ! Le meilleur du monde, pour beaucoup de dégustateurs. Son acidité est présente, son corps subtil. On repérera aisément ses notes florales, peu fréquentes dans le café. La délicatesse par excellence.

Le mélange Moka

Un assemblage à part égale des deux précédentes provenances. Le café s’approche ainsi de l’équilibre parfait : le caractère du Djimmah, l’élégance du Sidamo.

La certification bio

moka12Question : puisque tous les cafés d’Éthiopie sont si naturels, en quoi la certification bio constitue-t-elle un plus ? Chers lecteurs, ce sera la  première et certainement la dernière fois que vous lirez une telle réponse dans Sat’Info : en rien ! Tous les cafés d’Éthiopie, si l’on excepte quelques rares productions gouvernementales à Djimmah, pourraient être certifiés bio d’office !

Le label qui est apposé sur les paquets ne correspond à aucune pratique particulière au niveau de la culture ou de la transformation du café, aucunes techniques ne pouvant être plus naturellement bio que celles traditionnellement employées ici.

La certification constitue pourtant une lourde contrainte pour les producteurs : en l’absence de cadastres, il est nécessaire de faire un gros travail de repérage des parcelles. Ce travail permet de garantir une totale traçabilité des lots, exigence légitime en bio. Toutes les productions doivent également être consignées officiellement, avec une contrainte administrative supplémentaire inattendue : la concordance du temps ! Les Éthiopiens ne sont en effet pas en 2006, mais en 1999… Les mois comprennent 30 jours… Tous les quatre ans, leur calendrier compte 13 mois… Et pour eux, il est une heure lorsque le jour se lève… logique !

Compte tenu de ces données, le jeu de la certification bio en vaut-il vraiment la chandelle ?

Oui, pour le consommateur : il a ainsi la confirmation que tout café bio subit les mêmes contrôles, que ce soit au Brésil, où ils sont plus que nécessaires, ou en Éthiopie, où il ne s’agit que d’une simple formalité. Mais la certification est également un plus pour les Éthiopiens qui ont à vendre un produit de grande qualité sur un marché ultra-concurrencé : elle leur ouvre la porte des magasins bio. Moins chers et meilleurs que beaucoup d’autres provenances, les mokas d’Éthiopie s’y vendent bien. Soyez assurés que nous ferons tout pour amplifier le phénomène.

La ville, le café et le poète

hararkhatHarar, à l’ouest du pays, est l’une des plus attachantes villes d’Éthiopie. On y produit un excellent café, parmi les plus renommés. Malheureusement, la culture de celui-ci cède petit à petit le pas à celle du Khat, une feuille stimulante et euphorisante dont les Éthiopiens, tout comme les Yéménites, usent et abusent en toute légalité.

(A-t-on essayé ? Pour sûr ! Sympa et convivial. À tout hasard : considéré comme drogue douce en France…)

La ville d’Harar est également connue pour avoir été celle de Rimbaud lors des dix dernières années de sa courte vie. Il y vécut en bon commerçant de peaux, d’armes… et de café ! Commerçant-explorateur, devrait-on dire, tant les échanges de marchandises étaient alors une aventure. Rimbaud fut également l’un des premiers photographes à oeuvrer en Afrique, suite à la commande d’un appareil en France dont il espérait pouvoir tirer profit (on connaît deux de ses autoportraits).

 

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Un des deux autoportraits connus de Rimbaud

 Rastafari !

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Le musée Rimbaud

Rastafari » désigne la philosophie, le mode de vie, la « religion » des rastas jamaïcains. Apparue dans les années 1930, elle célèbre le très discuté Hailé Sélassié. (D’où le lien avec « rastafari » : « ras » signifie « roi ».
« Tafari » est le prénom de Tafari Makonen, alias Hailé Sélassié, empereur Éthiopien supposé descendant direct du roi Salomon).
Ce même Hailé Sélassié n’appréciait que modérément ce culte auquel se livraient
les Jamaïcains, mais il leur céda des terres en 1974, afin que ceux-ci puissent vivre le retour en Afrique, le but ultime.

Ces terres se trouvent à Shashemene où 700 rastas cohabitent aujourd’hui avec la population locale. Un endroit mythique qui fut notamment d’actualité début 2005 : Rita, la veuve de Bob Marley, a un temps projeté d’y transférer le corps de son défunt génie de mari.
Nous nous y sommes rendus et avons rencontré une communauté rasta. Deux de ses membres, qui furent parmi les premiers arrivants, nous ont accueillis. Ils s’apprêtaient à célébrer le 75ème anniversaire du couronnement de « Sa Majesté » et nous convièrent aux festivités, prévues trois jours après. Trop tard pour nous, dommage…

rastafari2Ici comme ailleurs, les rastas sont proches de la nature, souvent végétariens et très soucieux de la qualité des aliments. Ils cultivent et fument le chanvre, portent des dreadlocks… Ceux que nous rencontrons préfèrent éviter les photos, et c’est tant mieux : c’est fou ce que cela facilite la discussion ! Celle-ci fut longue et passionnante, principalement axée sur la religion, entrecoupée de vastes éclats de rire… Elle s’amorça sur une bien embarrassante question qui nous fut posée : « quelle bonne nouvelle du monde nous apportez-vous ? ». Glurppsss… Nous leur répondîmes « on peut trouver de la bonne nourriture, un peu partout… ». Ils furent ravis d’apprendre que nous travaillions dans le café, le bio… Puis nous leur avons demandé : « Et vous, quel message de Shashemene avez-vous à transmettre au reste du monde ? ».
La réponse ne se fit pas attendre : « que tout le monde vienne ici ! ». Sociables, spirituels, soucieux du retour en Afrique (même des blancs !), les vrais rastas sont décidément restés très fidèles à leurs idéaux.

JM