L’ayurvéda – Entretien : Cécile Doherty-Bigara

Inde, yoga, massages, alimentation saine : l’Ayurvéda est plus que jamais dans l’air du temps. Mais de quoi s’agit-il, exactement ? Nous avons posé la question à celle qui nous semblait le mieux à même d’y répondre. Cécile Doherty-Bigara est professeur de yoga et thérapeute en Ayurvéda à Toulouse. Franco-mexicaine, elle a découvert le yoga juste après ses études à Sciences Po et ne l’a plus jamais quitté. Elle s’est formée à l’ECIM (European College of Integrative Medecine) à Nice et a passé deux mois en Inde dont trois semaines dans une clinique ayurvédique traditionnelle pour se former aux soins ayurvédiques. Cécile n’aime rien tant que partager ses expériences et ses découvertes via ses ateliers et sur son blog, Le Palais Savant, suivi par des milliers de lecteurs.

Les grands principes

Qu’est-ce que l’ayurvéda ?

L’ayurvéda est la science médicale indienne. Le terme associe deux mots sanskrits : ayu, qui veut dire vie, et veda qui signifie connaissance. L’ayurvéda, c’est la connaissance de la vie. On ne s’intéresse pas à la maladie ni à un organe spécifique, mais aux énergies qui jouent en nous. Lesquelles sont trop importantes ? Comment soutenir celles dont nous avons besoin ? Pour moi, l’ayurvéda est une médecine du bon sens qui permet de se connaître, cerner ses besoins individuels et les satisfaire. C’est un art de vivre ancestral applicable au quotidien, à n’importe quel moment de la vie, permettant de faire des choix justes et positifs.

Quel est son principe de base ?

L’idée, c’est que nous sommes tous constitués de 5 énergies : celles de l’air, de l’espace, du feu, de l’eau et de la terre. Une idée qui peut sembler étrange lorsque l’on est habitué à des logiques très cartésiennes, mais l’ayurvéda considère l’homme comme une extension de la nature. Ce qui vit en elle vit dans chaque être vivant. Amener ces cinq éléments à l’équilibre est la clé de notre santé. Ils se combinent pour former trois sous-catégories que l’on appelle les doshas. L’air et l’espace vont créer l’énergie de Vata, le feu et l’eau celle de Pitta, et l’eau et la terre celle de Kapha. Nous naissons tous avec ces trois énergies en nous, mais dans des proportions différentes. Dès la naissance, certains sont frêles, d’autres robustes, certains mangent beaucoup, d’autres très peu, certains sont naturellement anxieux et d’autres terre à terre. Cette composition propre à chacun est nommée prakriti.

©Cereal Concept

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Allons-y pour les trois doshas. Kapha ?

L’énergie de Kapha, c’est l’eau et la terre, deux éléments lourds et compacts. Mélangés, ils donnent d’ailleurs la boue : c’est l’énergie de la structure, de la lourdeur et de la solidité. Elle s’exprime à la fois physiquement (les personnes Kapha sont souvent grandes, robustes, avec une structure osseuse imposante) mais aussi sur les plans mental et émotionnel. Dans un arbre, Kapha serait l’énergie des racines, l’ancrage, la stabilité. Cela donne un mental plutôt calme, une personne qui ne parle pas forcément beaucoup mais dont la présence apporte confiance et sérénité. Les personnes Kapha ont de la mémoire, de l’endurance, un corps et un coeur très doux, remplis de compassion et de gentillesse. Mais lorsque l’énergie de Kapha se déséquilibre, la stabilité devient une forme de lourdeur, de paresse, d’inertie, avec une difficulté à sortir de chez soi et à aller vers les autres. Physiquement, cela donne une tendance à prendre du poids ainsi que des problèmes de congestion, notamment au niveau de la sphère ORL (mucus, glaires, sinusites, otites).

Au tour de Pitta…

C’est l’énergie du feu et de l’eau. Dans l’arbre, ce serait le tronc. Le feu est un signe de vie, de combustion, d’élan. Il est associé à la digestion et à l’estomac, mais s’exprime aussi dans l’intestin grêle et les yeux. On appelle le feu digestif agni, c’est notre capacité à manger, à assimiler puis éliminer ce que nous mangeons. D’un point de vue mental, ce feu s’exprime par de l’ambition et de la motivation, l’envie d’entreprendre des projets, un esprit vif et acéré. Le fait d’avoir du mal à supporter la chaleur de l’été et de rechercher de la fraîcheur est un bon indicateur de la présence de feu en nous. S’il brûle un peu trop fort, les personnes Pitta peuvent s’épuiser dans le travail, éprouver un burn-out, cumuler trop de projets et développer un regard très critique envers elles-mêmes et leur entourage. Elles peuvent se montrer colériques, frustrées.

Et Vata, enfin.

Imaginez l’air et l’espace, deux éléments très légers, secs, aériens. Dans l’arbre, c’est l’énergie des branches et des feuillages qui bougent au gré du vent. Vata représente le mouvement de l’air dans le corps à travers les battements du coeur, la respiration, les réflexes. Il s’exprime dans le côlon, les os, les articulations et l’ouïe. L’énergie Vata est aussi une forme d’irrégularité. Quelqu’un qui a beaucoup d’énergie Vata a souvent un sommeil léger et agité, une tendance à manger à des heures irrégulières et un mental éparpillé, sur-sollicité. Une personne Vata expérimente vraiment ses yoyos : elle peut avoir beaucoup d’énergie à un moment puis plus du tout. Equilibrée, elle est créative, enthousiaste, curieuse et joyeuse. En déséquilibre, la suractivation de la sphère mentale devient un vrai handicap, avec un développement de l’anxiété, des pensées omniprésentes, des difficultés à s’endormir, l’incapacité à se concentrer sur une seule chose à la fois.

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Se connaître

Comment faire pour connaître notre constitution ? Faut-il aller voir un thérapeute, ou bien suffit-il de faire un test ?

Je pense qu’il y a quelque chose de très amusant dans l’idée de faire son petit test dans un livre ou sur internet. Nous sommes tous passés par cette première étape. Si l’on est assez objectif, on peut se faire une bonne idée de sa constitution comme cela. Mais si cela nous parle ensuite suffisamment pour passer à l’étape du plan d’action personnalisé, le mieux est d’aller voir un thérapeute spécialisé. L’ayurvéda est la plus vieille médecine du monde, elle propose tellement de choses… L’idée est de trouver ce qui te parle, à toi.

Notre constitution est définie au moment de notre naissance. Mais si l’on fait le test à différents stades de notre vie, on se rend compte qu’elle a pu changer. Alors quelle est notre constitution, celle de notre naissance ou bien celle d’aujourd’hui ?

C’est à la fois ce que nous sommes à la base et ce que nous sommes devenu. En ayurvéda, l’environnement dans lequel nous sommes venus au monde a du sens. Nous le gardons en nous et nous y trouvons bien. Par exemple, je suis née dans un endroit très chaud et cela m’influence : je suis une personne différente en hiver et en été. Il est donc bon de savoir comment on est arrivé sur terre, en quelle saison, dans quel pays, comment on se comportait quand on était petit. L’enfant est dans l’énergie Kapha, son corps commence à se structurer et il a souvent des problématiques liées à la sphère ORL. A l’âge adulte, on entre dans l’énergie de Pitta, on entreprend des choses, on lance ses projets. En vieillissant, généralement, nous allons tous beaucoup vers Vata. C’est l’énergie de l’air qui se dérègle par toutes les choses qui font partie de la vie moderne – mental agité, stress, stimulation extérieure continue -, elle augmente au fil du temps chez la plupart des gens. C’est une énergie plutôt sèche, on la perçoit dans l’assèchement de notre peau. C’est alors une très bonne idée d’opter pour l’auto-massage à l’huile afin de rééquilibrer Vata.

De manière générale, comment rétablir un déséquilibre ?

Deux principes très simples vont s’appliquer en ayurvéda : « le semblable augmente le semblable » et « les qualités inverses diminuent ». Comprendre les caractéristiques de chaque énergie permet de les rééquilibrer en insistant sur les caractéristiques opposées. Chaque jour, nos doshas s’expriment  de façon différente. Par exemple, imaginez que vous avez eu du mal à dormir cette nuit ou que vous êtes constipé : dans ce cas-là c’est l’énergie de Vata, l’énergie sèche, qui a pris le dessus. C’est une énergie froide, sèche et en mouvement. Pour la rééquilibrer, on opte pour une alimentation chaude et onctueuse et on prend soin de faire une seule chose à la fois. A l’inverse, si l’on est dans un excès de Pitta et que l’on ressent des sueurs, de l’acidité, de la colère, on va aller vers la modération, les aliments tièdes ou frais, comme la menthe ou l’huile de coco. Ou bien si l’on est dans une situation de congestion ORL ou de prise de poids, c’est que Kapha, qui est humide et lourd, a pris le dessus. Kapha est aggravé par les aliments ayant les mêmes caractéristiques, comme les produits laitiers. On va donc plutôt consommer des aliments secs, légers et stimulants, comme un peu de gingembre frais avant le repas pour rallumer le feu digestif.

Digérer

L’idée de digestion est constamment présente…

En ayurvéda, on considère que toute la vie est une forme de digestion, dans le sens littéral du terme. La vie se compte non pas en nombre d’années, mais en nombre de leçons. Les assimiler prendra le temps que cela prendra. Nous sommes constamment en train d’absorber des éléments du monde extérieur. Un aliment devient notre corps, une idée se change en une habitude quotidienne, une personne nous fait avancer, etc. Notre capacité à incorporer ces éléments extérieurs et à les faire nôtres, dans l’équilibre et la joie, est une marque de santé durable.

C’est d’autant plus difficile dans la société moderne, où nous sommes sur-sollicités en permanence.

Du point de vue de l’ayurvéda, on dirait que nous sommes devenus des personnes qui mettons beaucoup de choses dans notre bouche. Nous accumulons les sources de divertissement et d’enseignement sans les assimiler ni les digérer. Elles ne font pas partie de nous. A trop enchaîner les expériences, nous passons totalement à côté. L’été dernier, je suis allée au Sri Lanka et j’ai fait une Vipassana, une retraite de méditation. Le soir, après avoir passé la journée à méditer dans le silence, nous avions droit à une vidéo dans laquelle un maître nous expliquait ce que nous avions vécu pendant la journée. Il a notamment évoqué l’idée qu’il existe trois niveaux de connaissance dans le monde. Un exemple, le fait de dîner au restaurant. Le premier niveau, c’est prendre connaissance du menu et savoir en gros ce qui nous attend. Le deuxième, c’est s’asseoir, regarder autour de nous et observer les réactions des autres convives. Et le troisième, c’est lorsque nous sommes servis et que nous mangeons. Nous faisons alors l’expérience délicieuse de la texture et des goûts dans la bouche, de ce que veut dire mâcher, mêler les saveurs. Tout cela descend dans notre corps, puis on se sent repu. Les toutes petites informations glanées en amont ne suffisent pas à remplacer le vécu physique. Or dans nos vies, nous restons généralement tous coincés à la première étape. Nous lisons plein de livres, nous regardons faire des personnes qui nous inspirent, mais il nous manque la partie où on passe à table, où on intègre vraiment ces enseignements. Il n’y a pas de continuité tant qu’il n’y a pas de digestion. Le concept de svadhyaya, l’exploration de soi et l’étude des textes sacrés, est là pour nous le rappeler. En ce moment, je relis tous les livres qui m’ont marquée. Je me rends compte que j’ai encore tellement à apprendre d’eux ! Je n’en ai pas encore tiré tout le jus.

Cela se vérifie également d’un point de vue purement alimentaire.

Un point essentiel de l’ayurvéda, c’est notre capacité à savoir allumer et éteindre le feu digestif, l’agni. On considère qu’en ce moment, les gens grignotent beaucoup trop. Même si ce sont quelques amandes, un aliment très sain en soi, nous laissons sans arrêt le feu digestif allumé. L’ayurvéda dit qu’il faut laisser 4 ou 5 heures entre chaque repas, le temps d’une vraie digestion.

 

Passer à  l’action

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Les différentes énergies s’expriment chacune tour à tour au fil d’une seule et même journée. Que peut-on en retenir ?

Notre journée, comme notre nuit, est divisée en trois temps qui donnent une énergie différente. En avoir conscience permet de choisir nos activités de façon intelligente et d’éviter ainsi de nager à contre-courant, ce que nous faisons bien trop souvent ! Or il est possible d’abattre plus de tâches en 4 heures si c’est le bon moment qu’en 10 si le timing est mal choisi… De 6h à 10h du matin, c’est l’énergie Kapha, la structure. C’est l’heure du corps. Il est bon de bouger son corps avant de donner de l’énergie à la tête. L’idéal serait de laisser son téléphone en mode avion jusqu’à 10h du matin ! Plus on s’approche de 10h, plus on a accumulé d’énergie Kapha. C’est pour cela que plus on se réveille tard, plus on se sent lourd, confus, dans le brouillard. D’où l’intérêt de se lever tôt… autant que possible ! De 10h à 14h, c’est l’énergie Pitta. Le feu digestif est très fort, c’est dans ce laps de temps, et notamment entre 12h et 13h, que le corps est capable de recevoir son repas le plus lourd, le plus complet et le plus énergétique. Puis, de 14h à 18h, c’est le moment de Vata. Notre tête et notre mental sont très connectés, nous sommes concentrés et créatifs. Lorsque l’on termine notre travail vers 18h, notre tête a été sollicitée dans toutes les directions et notre mental a besoin d’être ramené vers l’intérieur, notamment pour apaiser notre système nerveux et avoir un système immunitaire fort.

Comment faire pour « ramener le mental vers l’intérieur » ?

De 18h à 22h, avec le retour de l’énergie Kapha, il est important d’aller vers des activités qui permettent de se recentrer. Nous avons tous une énorme résistance à cela : plus on est fatigué, plus on accélère ! Or la meilleure chose à faire, c’est rentrer chez soi, enlever ses chaussures et s’allonger au sol, les jambes relevées contre le mur. Mettre une alarme à 12 minutes et ne plus rien faire. Généralement, plus j’ai été déracinée pendant la journée, plus ces minutes me sont pénibles. J’ai toujours mal quelque part, je suis traversée par des émotions et des pensées difficiles. Mais l’idée est de vraiment sentir tout cela pour mieux le réintégrer à l’ensemble. Ce moment Kapha est aussi idéal pour choisir de faire une chose et une seule. Se masser avec de l’huile est une très bonne idée : l’huile est un liant, comme les gens qui nous entourent. C’est le moment de nous relier aux autres, aux nôtres, à notre tribu.

Que penses-tu de la théorie du « Miracle morning », qui propose de réussir sa vie en se levant plus tôt le matin pour atteindre toute une série d’objectifs ?

Ce livre part d’une très bonne intention car l’énergie du matin est très forte et c’est une bonne idée de l’utiliser. Mais il a tendance à nous culpabiliser, en mettant l’accent sur le fait de se lever très tôt alors que la plupart des gens manquent cruellement de sommeil. Pour moi, le matin est avant tout un moment sacré et de qualité. Avant que ma tête ne se branche pour la journée sur le travail et les réseaux sociaux et ne me mette sous pression en décidant que rien ne va assez vite, je me branche à mon corps, qui lui est sage et posé.

En ayurvéda, il y a beaucoup de propositions pour créer une routine du matin… Là aussi, si l’on veut  tout faire, on a intérêt à se lever aux aurores !

L’idée est d’en retenir juste une ou deux qui fonctionnent pour nous. La plus importante, c’est de boire un grand verre d’eau chaude au lever. Cela va nous faire aller aux toilettes le matin, ce qui est vraiment idéal pour être bien disposé ensuite. Puis on conseille soit le yoga, soit la méditation, soit des respirations. Peu importe la pratique, le tout est qu’elle se réalise en pleine conscience. On propose également plusieurs pratiques à effectuer dans la salle de bain, qui sont assez rapides. Pour les personnes qui ont des soucis digestifs, l’idéal est de procéder au grattage de langue à l’aide d’un gratte-langue en cuivre (ou d’une petite cuillère) dès le lever. Les gens qui ont des soucis bucco-dentaires vont privilégier l’oil pulling (de l’huile de sésame ou de coco que l’on fait tourner dans la bouche pendant quelques minutes avant de recracher). Cela protège les dents et rétablit l’équilibre des bactéries. L’auto-massage à l’huile est quant à lui une très bonne pratique pour les personnes qui se sentent un peu déprimées ou mentalement agitées. C’est une pratique très bienveillante. Quoi que l’on retienne, l’idée est de nourrir le corps avant de nourrir la tête. Notre tête n’est jamais contente, elle veut toujours changer quelque chose. Si on lui donne tout de suite le pouvoir elle va nous faire tourner en bourrique toute la journée !

Y a-t-il des conseils à retenir en matière de soins cosmétiques ?

Un seul précepte : « Moins, c’est mieux ». Notre peau est une grande bouche dont l’équilibre est maintenu par l’action des bactéries et du sébum. L’objectif est de nourrir ces bactéries pour leur permettre de bien faire leur travail, cela et seulement cela. Or savonner déséquilibre notre peau et l’assèche énormément. On évite donc tout savonnage inutile, en le réservant aux aisselles et aux parties intimes. Ensuite, on va utiliser des huiles plutôt que des crèmes. Les crèmes ne suffisent jamais et finissent par asphyxier la peau. L’huile est vraiment absorbée par la peau et interagit avec le sébum pour nourrir les bonnes bactéries. On conseille d’opter pour une huile de sésame ou de coco, en fonction de notre constitution. L’huile de sésame réchauffe et apaise l’énergie Vata, tandis que l’huile de coco rafraîchit les peaux Pitta. Pour Kapha, on peut conseiller un massage drainant à base de farine de pois chiches ou frotter la peau avec un gant de crin.

 

Se nourrir

On a compris qu’il convenait de s’alimenter différemment selon notre constitution et les déséquilibres éventuels que nous éprouvons. Mais y a-t-il certains principes qui conviennent à tous ?

L’idée centrale, c’est « plus c’est moi qui cuisine, mieux c’est ». Il est important de faire l’effort d’aller au magasin bio pour avoir toujours des produits frais chez soi. C’est une affaire de bon sens. Dans l’idéal, en ayurvéda, on cuisine juste avant de déguster et on ne réchauffe jamais un plat. La plupart des gens ne peuvent pas faire cela, moi la première !  Mais j’essaie, autant que possible, d’acheter des légumes frais que je lave, coupe, assaisonne et cuisine moi-même. Mon plat aura alors toute la fraîcheur du prana, l’énergie vitale de l’aliment. Ma digestion sera plus harmonieuse que lorsque je me sens débordée et que je consomme des plats tout préparés.

Ton blog est sous-titré « Manger est une arme »…

Je suis écolo depuis aussi loin que je me souvienne. J’ai toujours voulu prendre cause, voir s’opérer de grands changements au niveau de la société. J’ai fait mes études à Sciences Po et écrit un mémoire autour de l’alimentation. J’ai réalisé que le changement passait d’abord par l’assiette. Pour certaines personnes, le choix du bio est motivé par des questions de santé, pour moi c’est une évidence d’un point de vue écologique. On oppose souvent le fait de manger sain mais pas bon avec l’idée de manger n’importe quoi et de se régaler. Cette opposition n’a pas lieu d’exister. Je n’ai jamais autant léché mes doigts que depuis que je mange des choses qui ont à la fois du sens et du goût !

Bio et ayurvéda, naturellement compatibles ?

Quand l’ayurvéda a été créé, tout était bio. Le principe de base est d’ingérer un aliment pour ses qualités intrinsèques et aussi pur que possible. On considère qu’il a une énergie différente selon la manière dont il a été cultivé et cuisiné. Quand un producteur qui mène une vie décente prend soin de ce qu’il cultive, il nous offre une très bonne énergie que nous allons pouvoir ingérer et assimiler. C’est tout l’inverse si nous absorbons des aliments cultivés avec des pesticides, par un agriculteur qui souffre lui-même du caractère industriel et polluant de son exploitation. Tout est énergie.

Et ayurvéda et végétarisme ?

L’ayurvéda vient d’Inde, un pays à majorité végétarienne, mais il ne prône pas le végétarisme strict. On considère qu’une alimentation à majorité végétale est la meilleure qui soit, mais chacun va faire en fonction de sa constitution. Les personnes qui ont beaucoup de feu en elles, avec des irruptions cutanées, de la colère ou des brûlures d’estomac, ont intérêt à réduire leur consommation de viande, qui entretient ce feu. Le même conseil ne s’applique pas forcément aux personnes Vata ou Kapha. Pour ces dernières, on conseille plutôt d’éviter les produits laitiers, qui entretiennent les problèmes de mucus et ORL typiques du déséquilibre Kapha. Mais au-delà de ces considérations liées à chaque dosha, il est important de revenir à l’idée d’énergie. Si la viande que l’on mange provient d’un animal qui a eu une vie horrible et accumulé des hormones, des antibiotiques et des toxines, nous allons intégrer son énergie très négative. Il est certain que, dans notre monde moderne, cela fait toujours du bien de réduire les quantités de viande et de produits laitiers que nous consommons. Mais cela ne doit pas être une raison pour nous mettre en colère contre ceux qui refusent de faire comme nous. J’ai réalisé, lorsque je suis devenue végétalienne il y a six ans, que mon choix pouvait engendrer des tensions autour de moi. On ne peut pas vouloir réduire la souffrance animale tout en créant de la souffrance humaine.

Comment concilies-tu ayurvéda et végétalisme ?

Je le fais de manière très souple. C’est simple, j’ai décidé de faire à 80 % ce qui est bon pour moi, et de m’accorder 20 % de folie. Mon 80 % à moi, c’est de privilégier les aliments cuits, d’avoir toujours des produits frais à cuisiner, de dîner plus tôt et de conserver un rythme. Les 20 %, ce sont les sorties entre amis, manger des aliments que je sais ne pas très bien digérer ou à des heures indues. Je suis végétalienne à la maison, mais si je vais chez des amis qui ont mis des œufs dans un gâteau, je le mange sans problème. Je ne suis pas allergique aux œufs et je fais le choix de prioriser la convivialité. Je constate aussi qu’il est beaucoup plus facile de faire part de ses choix alimentaires aux autres aujourd’hui qu’il y a dix ans. Tout cela est beaucoup plus serein.

 

Bien-être

Quel est le lien entre yoga et ayurvéda ?

Notre vie est un grand bazar, plein d’expériences, de choses que l’on veut et que l’on ne peut pas avoir… Nous avons besoin d’être guidés et inspirés, en tant qu’individu comme de collectif. Le yoga et l’ayurvéda sont des guides. Ce sont ces grands-mères pleines de sagesse qui nous donnent des astuces sans jamais nous juger ni nous culpabiliser. Ils sont accessibles à tous, que l’on y consacre 5 ou 60 minutes, et nous permettent d’apprécier notre vie telle qu’elle est. Le mental fonctionne de deux manières : soit il fait une fixette sur quelque chose qu’il n’a pas et voudrait avoir, soit sur quelque chose qui l’encombre et dont il aimerait se débarrasser. Il nous dit : « la vie sera super quand j’aurai la super vie ». Or, nous ne ferons sans doute jamais cette expérience où tout se retrouve parfaitement agencé. Yoga et ayurvéda nous aident à sortir de ces fixettes en mettant de la conscience et du plaisir ici et maintenant. Ils nous aident à ne pas passer à côté de notre vie.

On est presque dans un livre de développement personnel…

Le terme de développement personnel m’a toujours gênée. Lorsque j’ai découvert le yoga et l’ayurvéda, j’avais très peu d’estime de moi-même. Je venais d’une famille très conflictuelle, je n’aimais pas mon corps, je souffrais d’anxiété sociale et j’avais du mal à m’ouvrir aux autres. Pendant au moins trois ans, j’ai pensé que ces deux pratiques allaient me permettre de transformer la mauvaise personne que j’étais en une super personne. En réalité, elles m’ont permis de me ficher la paix, d’être plus cool avec moi-même comme avec mon entourage, d’arrêter de me mettre la pression et de vouloir être parfaite. Et je vois aussi chez certains de mes élèves de yoga, ce manque cruel d’amour de soi. L’idée que yoga et ayurvéda peuvent nous rendre meilleurs crée un gouffre où l’on se noie, car nous n’arriverons jamais à un état qui nous satisfasse. Mieux vaut prendre les choses à l’envers : le yoga et l’ayuvrveda m’apprennent à m’accepter, à comprendre comment je suis et pourquoi. C’est une caisse à outils à ma disposition. Je peux aimer et soutenir ce que je suis tout en mettant en place ce qui peut m’aider. A l’idée de développement personnel, je préfère celle de spiritualité.

Dans ton discours, le féminin sacré a une grande place. Veux-tu nous en parler ?

J’ai vu des amies arriver à ces questionnements du fait de problèmes de santé liés à leur féminité (infertilité, problèmes de cycles hormonaux, etc.). Pour ma part, c’est quand j’ai réalisé que j’essayais d’être femme comme j’avais vu ma mère être femme, et constaté que cela ne fonctionnait pas pour moi. Je me suis passionnée pour le sujet de l’intimité, qu’elle soit physique ou émotionnelle. J’ai voulu découvrir la femme comme je ne la connaissais pas. En ayurvéda, on considère que les femmes sont tressées avec le cycle de la lune. Elles sont en elles cette montée, cette descente et cette mort. Elles vivent énormément de contrastes. Il faut être une femme pour se sentir, dans la même journée, la plus belle du monde puis tout d’un coup ballonnée, irritable, incapable de quoi que ce soit. Cela peut être déboussolant. Mais si l’on accepte que cette part féminine et sacrée est liée au cycle de la lune et à tous les visages de la femme, on sait alors où l’on se trouve et on se sent enfin déculpabilisée. Nous sommes toutes tellement en train de faire de notre mieux ! Je suis convaincue que le futur doit être féminin dans le sens où l’énergie féminine aura repris sa place aux côtés de l’énergie masculine. C’est une énergie qui ne comprend pas la comparaison, ne se sent pas menacée par l’autre mais inspirée par lui.

As-tu un livre à recommander à ceux qui voudraient aller plus loin ?

Santé parfaite, de Deepak Choprah. C’est le livre le plus complet sur l’ayurvéda mais aussi le plus accessible et le plus simple.

Une recette de cuisine, pour terminer ?

Le porridge aux flocons d’avoine. C’est le petit-déjeuner ayurvédique par excellence. Manger chaud le matin est recommandé, car notre digestion suit le même parcours que le soleil : elle se lève, arrive au zénith à midi et se couche le soir. A l’heure où notre feu digestif démarre tout juste, donner du chaud à notre ventre est comme une prédigestion. Il est également bon de mettre des épices : gingembre, cannelle, curcuma… Un repas pris avec ou sans épices n’est pas le même, car elles nous aident à mieux assimiler ce que nous mangeons, à prendre le meilleur de nos aliments. Et puis, on rajoute ce qu’on aime. Moi j’aime les amandes, les cranberries, le chocolat ! C’est un moment de plaisir et un petit déjeuner qui tient au corps.

CC

Liens

DVD Yoga et Ayurvéda (disponible chez Satoriz)

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