Jérôme fait son miel

Né en Picardie, c’est tout gamin que Jérôme découvre les ruches. Il se souvient même du jour précis où il s’est arrêté net, fasciné. Renseignements pris, on explique au jeune garçon qu’apiculteur n’est pas un métier et qu’on ne gagne pas un rond avec ce truc-là. Jérôme fait donc un détour par des études et des métiers qui ne le passionnent pas. Puis revient à la case ruches, d’abord sous la forme d’un « plein temps en plus d’un travail à plein temps », puis d’un vrai métier à temps plein depuis deux ans environ.

Jérôme est aujourd’hui apiculteur bio, pour de vrai. Et constate que c’est un métier dont on peut vivre à condition d’en accepter les contraintes. Ici, dans le Gard, à deux pas d’Avignon, on est en zone de monoculture viticole. Pas question de laisser butiner dans les parages ses quelques 500 colonies d’abeilles… Pour trouver de belles zones écocertifiées, Jérôme doit rouler et installer ses ruches dans des départements plus propices  : l’Isère, les Cévennes, l’Ardèche, la Lozère. Paradoxe du bio qui oblige à délocaliser les abeilles une bonne partie de l’année… Notre apiculteur les ramène au bercail le temps de l’hivernage, de septembre à février. Bercail où se situe également sa petite miellerie, où il récupère le miel, le met en bocal et le vend en direct à tous ceux qui toquent à sa porte. Et aussi, chez Satoriz* !

Jérôme est heureux d’avoir écouté son âme d’enfant. Il n’a pas été déçu par la pratique du métier d’apiculteur  : « C’est la nature qui me dicte ses règles, pas un être humain. Cela m’oblige à lâcher totalement prise, à être dans l’acceptation… Quand ça fonctionne, c’est l’exaltation. Quand ça ne fonctionne pas, c’est proportionnel  ! Je me sens plus vivant. Les sensations sont plus grandes… ». S’il préfère la compagnie de la nature à l’immersion dans la civilisation, Jérôme n’en est pas pour autant devenu misanthrope, loin s’en faut. Soucieux de ne pas s’isoler, il s’en réfère aux anciens, échange avec ses collègues, donne des coups de main. Jérôme récupère le miel, ne le transforme pas. Si certains cristallisent, c’est que tel est leur destin  : pas question de les brasser pour les rendre standards ni crémeux comme de la pâte à tartiner. Plutôt que de discipliner le précieux nectar, Jérôme propose d’éduquer les consommateurs à la variété des textures et des saveurs des différents crus, chacun rattaché à un terroir. Le miel de montagne des Cévennes est le fruit du parcours des abeilles qui butinent d’abord les prairies, puis descendent chercher les fleurs de châtaignier et remontent vers la bruyère cendrée. Celui d’Ardèche, plus jaune, résulte d’un copinage avec le chardon, l’aubépine et le tabac sauvage. Le miel de lavande présente quant à lui une petite pointe d’acidité et une granulométrie très fine, il est délicat et floral. À l’opposé, le miel de châtaignier possède des arômes puissants – il est parfait pour confectionner du pain d’épices. Le miel d’acacia est doux, liquide et translucide, avec des reflets verts irisés. Il devient très difficile à produire, réchauffement climatique oblige… On compte une bonne année sur quatre, environ. S’adapter, toujours. Changer de lieu s’il le faut. Jérôme évoque une autrice récemment rencontrée dans un salon du livre, qui écrit à la fois des romans très noirs et des albums pour enfants  : « On a tous ça en nous ». Des rêves d’enfant et une conscience, parfois sombre, de la réalité… Orientée optimisme plutôt que fatalisme.

Jérôme court sans arrêt entre les marchés et la surveillance accrue de ses ruches. Un vrai travail de fourmi… Entre cette dernière et l’abeille, il existe d’ailleurs un point commun  : une organisation matriarcale où le mâle est exploité, puis zigouillé dès qu’il ne sert plus à rien, c’est-à-dire rapidement. Ouvrant une ruche, Jérôme propose de caresser les abeilles. Elles sont douces. On les sent vibrer sous la main. Jérôme en accueille une poignée dans sa paume, tout doucement  : « Parfois je les engueule, mais globalement, elles et moi, ça se passe plutôt bien  ! ».

CC

* Les miels de Jérôme Lefèvre sont en vente dans les magasins Satoriz proches d’Avignon  : Les Angles et Le Pontet.