Ce que donne la patate !

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patate-fleurEst-il vraiment nécessaire de faire l’éloge de ce tubercule universel au passé glorieux ? Ration quotidienne d’une partie de l’humanité, mère de cette fameuse frite que nous a donné le génie belge, la pomme de terre souffre cependant, et particulièrement en bio, de son statut commun d’aliment par défaut. « Trop injuste ! », protestent les ados, qui lui doivent leur survie. Allez, jetons donc un oeil neuf sur cette amie !

La pomme de terre est avant tout une fleur. Si, si, c’est nous qui sommes allés déterrer les excroissances où ses racines stockent des réserves… pour en faire de la purée ! Une fleur donc, qu’on évitera d’offrir en bouquet bien que le célèbre encyclopédiste Antoine-Augustin Parmentier ait osé en décorer la boutonnière de Louis XVI, en point d’orgue de sa campagne de communication visant à développer la culture de ce légume providentiel.

Sa vaste famille, celle des solanacées, semble recomposée tant frères et soeurs sont dissemblables. Jugez-en donc : la belladone, la tomate, le tabac, l’aubergine, le datura, les piments, la mandragore et quelques milliers d’autres. Ce qui les réunit ? La production d’alcaloïdes parfois puissants qui donnent des poisons mais surtout des remèdes, dont la solanine, que l’on retrouve dans les feuilles et sur les tubercules des pommes de terre lorsqu’ils verdissent. Pensez bien à éliminer ces parties si vous en trouvez en épluchant : vous n’en mourrez pas dans le cas contraire, mais c’est très amer ! Selon les botanistes, cette présence serait une stratégie développée par la plante pour se protéger des herbivores. Enfant, j’ai souvenir de Marquis, le mulet de mon grandpère, les quatre fers en l’air après avoir brouté quelques fanes flétries. Un bon shoot dont il s’est relevé tant bien que mal quelques minutes plus tard. Une hypothèse est d’ailleurs avancée sur cette substance dans laquelle les terribles doryphores, dévoreurs de feuilles, puiseraient leur très grande résistance aux insecticides*. Une « qualité » qui a entraîné par le passé des épandages massifs et polluants sur les cultures intensives.

*Source Encyclopaedia Universalis 2013 : L’emploi d’insecticides pour lutter contre le doryphore s’est avéré insuffisant, ce coléoptère étant capable de résister à un grand nombre de substances chimiques. La coévolution entre le doryphore et les Solanacées, végétaux renfermant dans leurs tissus une très forte concentration de glycoalcaloïdes et autres toxines, est peut-être à l’origine de cette résistance.

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Aliment basique parmi les basiques, s’il est un seul légume qui doit être bon marché, c’est bien la patate. Ainsi le commerce conventionnel décore-t-il ses ardoises de prix jamais vus qui laissent entrevoir à quel niveau se « négocie » le brut de cueille. La survie de la production passe alors par un rendement compensateur, un choix qui en induit d’autres, rarement à l’avantage du consommateur et de son environnement. En bio, dans le meilleur des cas, le rendement à l’hectare est divisé par deux. La terre donne ce qu’elle peut et notre pomme de terre vaut ce qu’elle vaut : elle vous sera proposée, sur les étals de nos magasins, à des prix voisins de ceux des carottes, choux, poireaux et autres navets.

Pour l’oeil pressé d’un consommateur, qu’est-ce qui ressemble plus à une Charlotte qu’une Ditta, une Mona Lisa ou une Altesse ? La grande diversité variétale n’est pas restituée par la tenue de ces dames qui s’habillent toutes pareil, ce qui fait dire à votre beau-frère « d’accord, mais une patate, ça reste une patate ! ». N’en déplaise à ceux qui veulent la mettre plus bas que terre, l’ensemble des quelques 240 variétés inscrites au catalogue officiel provient de trois grandes familles, déterminées par leur comportement à la cuisson.

patate-fritesA l’une des extrémités, celle des tubercules qui se tiennent bien lorsque cuits. Elles sont dites à chair ferme et donc recommandées pour le rissolage, les salades : vous avez reconnu la Charlotte, l’Altesse, l’Amandine, la Nicola. A l’opposé, les chairs farineuses, celles qui se délitent en fin de cuisson, s’écrasent facilement pour faire des purées mais aussi des frites moelleuses, comme par exemple l’Ostara qui se plaît bien dans les sables de Batz, la rouge Kuroda ou la célèbre Bintje. Entre les deux, les variétés de consommation, à chair fondante, caractère un peu flou mais qui désigne des pommes de terre polyvalentes. Ce sont les Mona Lisa et autres Ditta, capables de garder leur dignité dans toutes les assiettes.

Restent les goûts de chacun qui iront parfois à l’encontre des données les plus objectives. La prochaine fois que vous ferez des frites pour toute la famille, pourquoi ne pas éplucher incognito un panier d’une variété, un panier de l’autre ? Attendez les retours et vous saurez à quoi vous en tenir ! Dernier affront subi par notre sujet, celui lié à son statut de membre emblématique de la famille des féculents, ce nom horrible (voyez son étymologie*) choisi pour un groupe d’aliments parmi les plus nobles et essentiels. Qu’on se le dise, la pomme de terre est très peu calorique et ne peut être tenue pour responsable de votre embonpoint. Il suffit juste de ne pas la saturer de graisses, même si c’est tout ce que vous aimez. Quand on sait la choisir et bien la préparer, elle a la délicatesse de venir dans votre assiette pleine de fibres, de minéraux mais aussi de vitamines (B,E et surtout C). Sans parler des réserves d’énergie de fond apportées par les sucres lents. Il aura fallu la persévérance d’Antoine-Augustin Parmentier pour nous faire comprendre quel gâchis c’était de la donner aux cochons : elle est aujourd’hui respectée du plus grand nombre. Souhaitons la plus présente sur les tables bio.

Alain Poulet