Les légumes japonais épisode 1 : Quand Raitetsu Jinno nous raconte ses salades

raitetsuJinnoCet hiver, vous avez certainement aperçu sur les étals de votre magasin préféré des bottes de légumes à feuilles et de salades à l’allure inhabituelle – un peu martiennes, japonisantes, peut-être ? Leurs noms, n’en parlons pas : mizuna, wasabina, komatsuna… Le grand saut dans l’inconnu ! Si vous les avez dégustés, vous avez sûrement été séduits par leur piquant, leur croquant, leur douceur aussi… Et en zieutant l’ardoise, vous avez réalisé qu’ils ne venaient pas du Pays du soleil levant, mais de chez Biogarden, notre fournisseur du Gard, autant dire… le voisin d’à côté.

Un voisin japonais ? Hautement intriguée, j’apprends après quelques coups de fil qu’il s’appelle Raitetsu Jinno, qu’il cultive ses légumes bio sur les terres de Nicolas Reuse depuis l’été dernier, et qu’il nous réserve de très belles surprises pour le printemps. Pour l’auteur de ces lignes, c’est sûr, il fallait aller à sa rencontre. La simple évocation de l’edamame (jeune soja à croquer) et le fait de savoir que Raitetsu est originaire de Fukuoka, ville où j’avais vécu pendant plusieurs mois, m’ont fait prendre illico la route de Bellegarde. Récit d’une fort belle rencontre… en deux épisodes, s’il vous plait !

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Raitetsu, ambassadeur

Qui es-tu, Raitetsu ?
Je m’appelle Raitetsu Jinno. J’ai 39 ans. Je suis originaire de Kyûshû, l’île la plus au sud de l’archipel japonais, où j’ai grandi en milieu urbain. Aujourd’hui, je vis à Bellegarde, un petit village du Gard, et j’y cultive mes légumes bio depuis l’été 2012.

dessinjinno1C’est une chouette aventure. Mais reprenons dans l’ordre… Au Japon, tu étais agriculteur ?
En fait, j’ai failli ne jamais le devenir ! Après le lycée, j’ai tenté l’examen d’entrée dans l’une des meilleures universités du Japon pour suivre un cursus d’études agricoles, mais j’ai échoué. En revanche, j’ai pu entrer dans une autre université, d’où je suis ressorti diplômé en ingénierie civile. Pendant six ans, j’ai donc travaillé à la supervision de chantiers, un peu partout au Japon.
Ce travail m’allait bien au début, car j’aimais déménager et découvrir de nouveaux endroits. Et puis, j’ai eu envie d’avoir un coin à moi, avec de la terre, et de ne plus en bouger. J’avais la nostalgie de l’inaka, la campagne japonaise, avec son atmosphère rythmée par le chant des grenouilles, la présence féérique des libellules, et tous les bruits de la nature. Même si l’université avait décidé pour moi, je voulais toujours devenir agriculteur.

???????????????????????????????Au Japon, le choix des études universitaires détermine bien souvent toute la carrière professionnelle. Comment as-tu réussi à changer de voie ?
Depuis le collège, j’ai toujours eu des envies de voyage. En cours d’Histoire,les professeurs nous enseignaient à la fois l’histoire du Japon ancestral et celle des autres pays. Dans l’idéal, j’aurais voulu voyager dans les deux ! Mais comme les voyages dans le temps ne sont pas encore homologués, j’ai choisi de partir à l’étranger pour satisfaire mon appétit de découvertes. Pendant cinq mois, j’ai parcouru l’Amérique du Nord et du Sud. C’était une telle coupure avec ma vie de chef de chantier que je savais que je n’y reviendrais plus.

Le voyage a constitué la rupture. Mais comment as-tu fait le lien avec l’agriculture ?
L’année suivante, j’ai décidé de partir à moto à travers le Japon. C’est un pays très étendu en longueur, et je voulais en visiter les deux extrêmes : le plus au nord (île d’Hokkaido) et le plus au sud (archipel d’Okinawa). A Hokkaido, j’ai travaillé pendant deux mois dans une petite exploitation familiale où l’on cultivait des tomates. Là, j’ai vraiment compris ce que recouvre le métier d’agriculteur. J’ai savouré le mode de vie de cette famille, où les repas étaient tous pris en commun, contrairement à ce qui est courant chez la plupart des familles japonaises – à commencer par la mienne. J’ai apprécié la vie simple et rustique de la campagne, et j’ai réalisé qu’elle me convenait. Là-bas, le père et le fils cultivaient chacun un champ de tomates distinct, l’un à côté de l’autre. Mais les tomates du fils et celles du père avaient un goût totalement différent – j’ai alors compris que c’est le savoir-faire de l’agriculteur qui fait le goût des produits. En japonais, on dit « si le bras de celui qui fait est particulier, le goût lui aussi est particulier » (ude ga chigau to aji mo chigau). Ça a été une vraie révélation pour moi.

jinnoComment t’es-tu retrouvé agriculteur bio dans le Gard ?
Après l’expérience japonaise, j’ai voulu continuer à voyager et à apprendre différentes manières de faire de l’agriculture. Je suis parti pour la France, et j’ai toqué à quelques portes, dans l’idée d’être embauché comme cuisinier ou cultivateur. Celle de Nicolas Reuse s’est ouverte tellement grand que j’y suis resté pendant neuf mois.

C’est chez Biogarden que tu as découvert les méthodes d’agriculture bio à la française ?
Oui. Avant cela, je ne m’étais jamais posé de questions sur les méthodes culturales… J’ai été plus que convaincu ! Je suis donc retourné au Japon dans l’idée de monter ma propre exploitation bio. Pendant six ans, j’ai cultivé des fruits et des légumes dans le sud de l’île de Kyûshû, à Ibusuki. Et puis, l’envie de revenir en France pour en apprendre encore un peu plus a repris le dessus. Pour y parvenir, j’ai monté un dossier en vue de l’obtention d’un visa « Compétences et talents » qui me donne trois années pour mener à bien mon projet.

Ton projet, parlons-en ! On pourrait presque parler d’une mission d’ambassadeur…
Outre ma soif d’apprendre, j’avais dans l’idée de faire découvrir aux Français les légumes préférés des Japonais, ceux qui sont pour nous les plus courants. Je suis persuadé que l’appétit de découverte vient en mangeant, et que croquer dans un concombre japonais allait donner envie aux Français d’en savoir plus sur notre culture. J’aime bien prendre l’exemple d’un petit pain fourré qu’on appelle sozai. Il est garni d’une multitude d’ingrédients très différents qui forment un heureux mélange. Je suis persuadé que les ingrédients français mêlés aux ingrédients japonais peuvent donner un résultat harmonieux, et j’ai envie de participer à ce mélange.

 

Mon bio japon

dessinjinno2Au Japon, on mange bio ?
L’agriculture bio y est encore très peu répandue. Pour acheter des produits bio, les consommateurs doivent passer par des coopératives, commander sur catalogue et se faire livrer à domicile. Ou bien il leur faut connaître un agriculteur bio pas loin de chez eux, si toutefois il existe. On trouve aujourd’hui des magasins bio dans certaines grandes villes, mais d’autres en sont totalement dépourvues. A vrai dire, avant de venir en France en 2004, je n’avais jamais mangé bio et je ne m’étais jamais posé la question du pourquoi. Aujourd’hui, cela me parait pourtant indispensable.

Comment expliquer ce faible intérêt pour le bio, alors même que les japonais sont très intéressés par tout ce qui touche à l’alimentation ?
En vérité, les japonais tendent à considérer que tout ce qui est produit sur leur sol est bon pour leur santé, même si lesdits produits sont pleins de pesticides. Ils connaissent l’importance du shokuiku, l’éducation alimentaire. Ils prennent très tôt conscience du lien entre le travail de la terre, le produit obtenu et le repas dans lequel il a été transformé. Le shokuiku, pour un enfant japonais, c’est par exemple apprendre à préparer des nouilles de blé (udon), cultiver du soja pour réaliser du tofu, ramasser les daikon ou les patates douces pour en faire des bonbons, récolter le shiso rouge pour teindre le gingembre fraîchement mariné, faire sécher les kakis que l’on vient de cueillir, et tout un tas d’autres choses. La question du bio ne se pose pas, elle est étouffée par une image de la nature comme fondamentalement « bonne » et nourricière.

Est-ce que les choses n’ont pas un peu changé depuis Fukushima ?
Si, j’ai l’impression que les japonais commencent à se poser plus de questions sur la qualité des produits qu’ils consomment. On peut espérer que tout cela aille dans le bon sens. Même si ce n’est pas un questionnement naturel pour nous, je suis persuadé que manger bio deviendra bientôt une évidence pour beaucoup de japonais.

 

Les salades de Raitetsu

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Cultiver dans le Gard des légumes qui viennent du sud du Japon, où le climat est beaucoup plus doux, ce n’est pas trop difficile ?
En fait, je crois que ces légumes poussent encore mieux ici que dans leur terroir d’origine ! Le climat du Gard est plus sec et les agriculteurs sont mieux équipés. A Kyûshû, nous avons une saison des pluies qui rappelle la mousson. Il fait alors extrêmement chaud et humide, ce qui favorise la prolifération de certains insectes. Ici, mes légumes ont dû affronter quelques mouches du chou au niveau des racines, mais rien de bien méchant. C’est beaucoup plus facile qu’au Japon !

 

SATINFO_N_123_Page_20_Image_0002Cet hiver, les clients de Satoriz ont découvert successivement et avec enthousiasme tes productions de komatsuna, de mizuna et de wasabina. Tu peux nous en dire plus sur ces légumes ? Le komatsuna, pour commencer…
Le komatsuna est un légume-feuille très courant au Japon. Il ressemble un peu à la blette, ou à l’oseille, avec un goût un peu relevé, à mi-chemin entre celui de l’épinard et du pak choi. Son nom peut se traduire par « épinard à moutarde ». C’est un vrai légume d’hiver, dont les japonais disent qu’il aide à renforcer les défenses immunitaires. Au Japon, on le cuit sans hésiter dans le nabé (fondue à base de bouillon), mais on peut aussi en faire des veloutés, le consommer cuit en salade ou le faire sauter à la poêle.

SATINFO_N_123_Page_20_Image_0001Et la mizuna ?
C’est une salade qui était déjà un peu connue en France, où on la compare facilement à la roquette à cause de ses longues feuilles dentelées et de son goût un peu piquant. C’est vrai qu’elle est un peu poivrée, mais je la trouve plus subtile que la roquette. Elle est délicieuse en salade, en tartine, ou en pesto, mais elle peut aussi être consommée cuite, sautée avec de la viande, des pâtes ou des légumes.

SATINFO_N_123_Page_20_Image_0003Le wasabina ? Son nom évoque le wasabi, ce raifort japonais vert et très piquant qu’on sert avec les sushis…
C’est aussi une salade qui se consomme aussi bien crue que cuite. Elle est craquante et un peu plus relevée que la mizuna. Je cultive aussi d’autres variétés de légumes à feuilles, comme le shungiku (de la famille des chrysanthèmes) ou le nanohana (colza). Au Japon, on aime beaucoup cuisiner ces légumes sous forme de ohitashi, c’est-à-dire blanchis 1 ou 2 minutes à l’eau bouillante puis refroidis dans un bain d’eau glacée avant d’être assaisonnés. Ils sont ainsi plus tendres, mais conservent leur belle couleur, leur saveur et leur croquant. On réalise alors toutes sortes de sauces avec miso, sésame, tofu, sauce de soja…

Que vas-tu planter ce printemps ?
J’ai commencé à planter des petits pois. Bientôt, je vais mettre en terre de l’edamame (jeune soja), des aubergines longues (naganasu), des concombres japonais (kyûri), des petits piments doux (shishitô), et des herbes aromatiques comme le shiso.

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Nous allons donc avoir encore beaucoup de choses à raconter sur tes légumes… Merci Raitetsu ! Nous te retrouverons dans le prochain Sat’Info, avec quelques recettes en prime !

CC