Les 4 saisons du jardin bio – Entretien : Marie Arnould

4saisonsDans ce qui était alors le petit monde du bio, il y avait un repère incontournable : la revue Les 4 saisons du jardinage, qui devint quelques années plus tard Les 4 saisons du jardin bio. Aujourd’hui plus qu’hier, alors que bon nombre des sympathiques feuilles du chou qui nous ont accompagnés sont passées à la casserole, cette revue continue d’être la référence.

Comment se fait-il donc ???

Marie Arnould, rédactrice en chef, répond à nos questions.

 

La revue « Les 4 saisons du jardin bio » fête ses trente ans d’existence. On commence par en évoquer la naissance ?
Il faut se remettre dans le contexte de l’année 1980, où l’on ne parlait pas beaucoup de bio, pas plus concernant les aliments que le jardinage… D’habitat écologique, encore moins. Sept personnes se sont regroupées à Paris, avec l’idée de se retrouver autour de ces thématiques.

À Paris ? Ce sont donc des citadins qui ont eu cette initiative ?
Pour la plupart, oui ! Parmi eux, Claude Aubert, ingénieur agronome et Karine Mundt, futurs fondateurs du centre Terre Vivante, mais aussi Jean-Paul Thorez, qui fut le premier rédacteur en chef de la revue. Le projet a été lancé sous forme d’association.

4saisonsmagLes débuts ont-ils été faciles ?
Les fondateurs sont allés présenter la revue sur des salons comme Rouffach ou Marjolaine, et le succès a tout de suite été au rendez-vous. Il y eut très vite 10 000 abonnés. Bon nombre de lecteurs étant contents d’abonner leurs amis, une petite communauté est ainsi née. Les 4 saisons est devenu le petit secret qu’on s’échangeait… C’est d’ailleurs comme cela que je l’ai vue pour la première fois, car mon père jardinait, et on lui avait donné un numéro.

Un tel succès doit donner des ailes !
Effectivement. Profitant de cet engouement, l’édition de livres a suivi, avec notamment le fameux Guide du jardinage bio, de Jean-Paul Thorez, puis d’autres qui approfondissaient les thématiques de l’alimentation, de l’habitat.
1994 fut un tournant. L’idée de mettre en pratique les idées véhiculées par la revue et les livres s’est faite sentir. Il s’agissait de trouver un lieu où l’on pourrait montrer à tous que ces techniques fonctionnent bien. Après quelques recherches, le centre Terre Vivante s’est installé dans le Trièves (Isère). Ce centre est donc devenu le « troisième volet » de l’aventure, après la revue et les livres.

Malgré son titre, la revue dépasse largement le cadre du jardinage. Quelle est réellement sa vocation ?
Passer du jardin… au monde ! Il faut bien entendu être jardinier pour s’y intéresser. Mais jardiner, c’est aussi un état d’esprit, et jardiner bio… encore plus. Il ne s’agit pas d’aligner des rangs de carottes, comme à la parade… Le jardinage bio, c’est aussi favoriser la biodiversité. On sent bien que ceux qui le pratiquent ont un fort émerveillement devant la vie, qu’ils ont envie de voir des escargots, des oiseaux, d’avoir une mare s’ils le peuvent, avec éventuellement des crapauds…

4saisons1On ne peut s’empêcher de vous demander de nous rappeler ce qu’est le jardinage conventionnel…
Il y a 14 millions de jardiniers en France. Non seulement ils utilisent majoritairement des produits, mais ils ont tendance à avoir la main lourde… La plupart ne maîtrisent pas les dosages. Toutes proportions gardées, un jardinier est plus dangereux qu’un agriculteur. Et l’ensemble de ces pollutions est bien réel.

Les préoccupations des « 4 saisons » concernent-elles le potager, ou ce que l’on appellera l’ornemental ?
Le potager, plutôt. L’idée est d’inciter le lecteur à tendre vers une certaine autonomie. C’est pour cela que nous avons aussi beaucoup fait de sujets sur l’habitat, la conserve, l’alimentation et le fait de cuisiner soi-même, bien avant que ce soit à la mode. Les 4 saisons du jardin bio est un petit journal utilitaire. La photo n’y est pas prioritaire, comme dans les magazines grand format. L’ornemental n’est donc pas notre sujet de prédilection, même s’il est présent, parce que le beau est important.

La revue est-elle une grande oreille sur le monde, ou crée-t-elle vraiment de la connaissance ?
Je crois qu’il y a des deux… Le journalisme, de manière générale, est une manière d’avoir l’oreille sur le monde. Nous avons par exemple été les premiers à parler de Pierre Rabhi. Mais nous créons aussi du contenu, notamment parce que nous disposons du centre Terre Vivante où nous menons des expérimentations, et que nous avons les témoignages de nos lecteurs, que nous sollicitons sur leurs propres expériences. On peut citer comme exemple les expérimentations que nous avons menées avec des graines de tomates anciennes, retrouvées dans les frigos de l’INRA : on a testé tous azimuts avec des maraîchers, au Centre, puis avec nos lecteurs, à qui nous en avons envoyé… Ils adorent ça, nous avons eu jusqu’à 200 participants et avons été obligés d’en refuser… Pour cette année, trois expérimentations sont prévues. Mais « créer de la connaissance », il ne faut pas rêver non plus : les techniques ne se renouvellent pas tous les quatre matins… Notre volonté est d’affiner, de rester à l’écoute des jardiniers qui peuvent nous apporter leur expérience.

4saisons2Quel est le tirage des 4 saisons ?
Nous vendons à 45 000 exemplaires. Nous avons aujourd’hui 30 000 abonnés qui nous portent, des gens chouettes dont nous nous sentons proches. C’est une vraie richesse. Depuis 2007, le magazine se vend aussi en kiosque à hauteur de 10 000 numéros, ce qui nous vaut une progression du nombre de nos lecteurs, fait assez peu courant ces temps-ci dans la presse. Nous vendons également 5 000 exemplaires dans les magasins bio.

Avez-vous un lectorat à l’étranger ?
Oui, en Belgique et Suisse, mais il n’est pas très significatif. Nous avons aussi des lecteurs qui font suivre leur abonnement au gré de leurs déménagements, aux USA par exemple. Pour l’anecdote, nous avons récemment rencontré Roger Doiron, un Américain qui est à l’origine du potager de Michèle Obama. Il nous a confié avoir connu « Les 4 saisons du jardin bio » par le bouche à oreille, à l’occasion de sa venue en Europe.

Êtes-vous restés militants, moteur de ce que l’on appellera le réseau bio ?
Nous ne sommes plus dans une culture de pionniers. Mais nous gardons notre fibre militante, qui nous différentie dans un milieu qui a évolué, notamment parce que d’autres éditeurs qui ne sont pas dans une tradition écologique abordent aujourd’hui ces sujets. Les réseaux restent notre ancrage, et nous ne devons pas nous en couper pour séduire le grand public. Ce qui ne nous empêche pas de rester ouverts à toutes les nouvelles sensibilités, aux nouveaux lecteurs, aux débutants.

4saisons3Bilan après trente ans… Y a-t-il eu des temps forts ?
Il y a deux ans par exemple, nous avons fait une enquête sur l’impact du changement climatique sur le jardin. Ces informations ont beaucoup été reprises par nos collègues de la presse parisienne. Mais le vrai bilan, pour moi, c’est que trente ans après ses débuts, la revue est une SCOP de 35 personnes, toujours animée du même appétit de connaître et de transmettre. Cette structure SCOP permet que tous les salariés soient partie prenante de l’aventure, et qu’on prenne soin de chacun. C’est aussi un des grands succès de ce magazine.

Doit-on des acquis notables à la revue ? Claude Aubert nous avait par exemple confié que « Les 4 saisons du jardin bio » était à l’origine de la renaissance du potimarron en France ?
Ah oui ! De même, il y eu un fort regain d’intérêt sur la courge en général suite à la parution de notre livre Trésor de courges. Parmi les trouvailles qui sont restées, on citera aussi « l’hôtel à insectes », que nous avons présenté à Terre Vivante. Un espace qui permet de les abriter, puisqu’ils sont de merveilleux auxiliaires pour le jardin. On voit aujourd’hui des « nichoirs à insectes » dans beaucoup de magazines… Nous sommes parfois agacés, mais le plus souvent flattés que la presse reprenne des informations que nous avons créées.

Des polémiques ?
Parfois nos lecteurs nous reprochent de quitter une certaine orthodoxie… Ce fut le cas à propos d’un reportage sur des maisons passives, très techniques et chères. Mais il n’y a pas que l’auto-construction… Le high-tech peut également être source de progrès, si l’on ne s’en tient pas qu’à lui. C’est en tout cas un vrai débat !

Bilan plus large encore : les jardiniers polluent-ils moins aujourd’hui ?
Il semblerait. On va probablement dans la bonne direction dans les jardins. Je dirais que les jardiniers évoluent, mais que la majorité doit encore apprendre la patience, car ça ne vient pas tout seul…

Comment un jardinier peut-il accéder aux dossiers que vous avez accumulés au fil des années ?
Nos archives sont sur notre site, on peut s’y abonner (terrevivante.org). Pour les non abonnés, il en coûte 1 euro l’article ; il y a un moteur de recherche qui permet de les trouver facilement.

Avez-vous une idée de ce que pourrait être l’avenir de la revue ? Aurez-vous toujours des informations à amener, sachant que l’approche bio se banalise ?
La progression actuelle du nombre de nos lecteurs prouve que oui. Parallèlement, pourquoi certains lecteurs nous suivent-ils encore après trente ans ? Ils peuvent estimer avoir fait le tour de la question… Mais il y a toujours à apprendre, les techniques évoluent. Sur le compost, par exemple, on sait maintenant mieux doser l’équilibre entre apport de détritus de cuisine et matières sèches… Pour nous, la clé, c’est de continuer à creuser les sujets et à les enrichir, notamment grâce au dialogue avec nos lecteurs. La connaissance se banalise, mais nous sommes capables de dire ce qui « marche » vraiment, expériences à l’appui.

14 millions de jardiniers en France, c’est beaucoup. Mais à une époque où le monde va vers une urbanisation toujours croissante, avez-vous la préoccupation d’essayer de concerner les citadins ?
Le lectorat restera pour un bon moment encore fait de personnes qui disposent d’une maison individuelle avec jardin. Mais nous sommes très attentifs au développement des jardins partagés, du compostage collectif en immeuble, etc. Nous accompagnerons ce courant, qui prend de l’ampleur en ville.

Merci, et longue vie aux « 4 saisons du jardin bio » ! Si vous aviez à citer un livre, un disque, un tableau ?
– J’ai grand plaisir à citer Le guide du jardin bio, de Jean-Paul Thorez. C’est notre plus gros succès, avec plus de 100 000 exemplaires vendus, et c’est tout un symbole pour Terre Vivante.
– Pour le disque, n’importe quel vieil album de Léonard Cohen.
– Un tableau du Douanier Rousseau. Ce foisonnement, ces couleurs, cette infinie diversité… comme dans un jardin !

JM