Le riz, en Italie

Le riz est vraiment une histoire asiatique. La Chine et l’Inde produisent et consomment à elles seules plus de la moitié de ce qui se fait dans le monde. Et dans le classement des huit premiers producteurs mondiaux, on ne trouve pas un seul pays appartenant à un autre continent que l’Asie. Du coup, lorsqu’on aborde le sujet du riz italien, on se sent un peu calmé…

rizMais on n’est pas à Wall Street, là, et on ne donnera donc à ces considérations qu’une importance relative. Car si les riz basmati et thaï connaissent un succès considérable, même en nos contrées, ce qui se consomme en riz transalpin est loin d’être négligeable. Mieux, ce riz se retrouve dans nos assiettes pour de très bonnes raisons. Voyons de plus près celles qui peuvent nous inciter à choisir les uns, ou l’autre.

En commençant par les indéniables qualités des riz asiatiques précités : le basmati est d’une finesse incomparable. Il s’agit certainement de la meilleure variété au monde. Le riz thaï distille quant à lui des arômes plus puissants, ceux qui lui valent l’appellation commune de riz « parfumé ». L’un et l’autre sont adaptés à des recettes dans lesquelles l’apport du riz est prédominant, quand ce même riz n’est pas carrément un plat à lui tout seul. Consommés à l’origine avec les ustensiles asiatiques traditionnels, ces riz ont une bonne aptitude à coller à la cuisson, ce qui est un avantage. Si, si… Essayez de consommer un riz dit « incollable » à l’aide de baguettes, et vous comprendrez vite pourquoi… Dernières caractéristiques qu’on décèlera, ils sont chers, et proviennent de fort loin.

riz1L’argument de la proximité nous conduirait en toute logique à privilégier le riz de Camargue. Mais il s’agit là d’une petite production, récemment mise en place notamment pour assécher les marais et bien insuffisante pour approvisionner ne serait-ce que la France. En fait, le gros de la production européenne est italien, et donc pas vraiment éloigné de chez nous non plus. Il s’agit de grains de bonne qualité, riches de nombreuses variétés aux profils gustatifs équilibrés et adaptés à la cuisine française, dans laquelle le riz est souvent un accompagnement. Ces riz, enfin, sont d’un niveau de prix abordable, qui plus est franchement à la baisse ces temps-ci.

La capitale du riz en Europe, c’est Vercelli. Tous les acheteurs, courtiers et producteurs se rencontrent dans cette petite ville du Piémont, à la limite de la Lombardie. Et pour cause, c’est ici qu’il est produit.

riz2Vous n’aurez aucune difficulté à imaginer la nature de l’environnement en cette région : assez plat… Avec un large réseau fluvial dérivant du Pô, qui permet de recouvrir d’eau les rizières quelques mois pendant l’été. Mais ne vous méprenez pas sur la fonction de cette eau : pour sa croissance, le riz n’en absorbe que de petites quantités. Contrairement au maïs, par exemple, qui a un système végétatif très développé, le riz reste une petite graine, perchée sur de petites tiges, cultivée en de grands endroits. Si de très gros volumes d’eau lui sont néanmoins utiles, c’est avant tout parce qu’en le recouvrant, elle lui permet de réguler sa température, évitant les trop forts écarts notamment entre jour et nuit. Quoi qu’il en soit, la gestion de cette eau sur les rizières est une des grandes difficultés de cette culture, et l’objet de beaucoup d’attention, de travail et de progrès.

Plat, il faut que ce soit plat. D’un point à un autre des rizières, on pouvait mesurer il y a quelques décennies un dénivelé de l’ordre de 10 centimètres. Fort d’un traçage au laser, on arrive aujourd’hui à aplanir au centimètre près, pour des parcelles qui sont ainsi de quasi billards. Autre progrès, grâce à un système de gestion des trappes par satellite, un riziculteur de la région a mis au point une technique qui lui permet de réguler avec précision le niveau d’eau sur ces parcelles. Ces mêmes satellites qui facilitent la récolte au tracteur en guidant le conducteur sur une trajectoire idéale, lui permettant ainsi de filer droit… Aucun rapport avec les éventuelles traces que pourraient laisser les excellents vins locaux.

riz3Ceci dit, si la haute technologie permet d’optimiser la pratique pour les approches qu’on dira géométriques, elle ne modifie pas les fondamentaux du bio au niveau cultural. Engrais verts, en octobre.

Aération du terrain, au printemps, gestion saine des mauvaises herbes et aucun intrant chimique, bien sûr. Rotation de culture riz-soja pour certains, comme Michael, le riziculteur qui nous accueille. Preuve immédiate du niveau de bonnes pratiques, les grenouilles reviennent sur les nouvelles parcelles bio, et n’ont jamais quitté les plus anciennes. Grands espaces et nature respectée, on aperçoit sous nos yeux un charmant florilège de faisans, hérons, aigrettes, faucons et hirondelles qui virevoltent à tout va. Les cigognes, paraît-il, évoluent parfois dans les parages. Les libellules, quant à elles, sont depuis quelques années aux abonnés absents. Mais que deviennent-elles ?

Une fois récolté, le riz doit être transformé. Contrairement à bon nombre d’usines conventionnelles, l’entreprise de Giovanni Provera n’est pas installée dans les grandes zones industrielles qui sont une des caractéristiques les moins plaisantes de la plaine du Pô, mais au beau milieu de ces rizières bio. Ici, on travaille le riz depuis quatre générations. En ce domaine aussi, la technique progresse, et le riz de votre assiette s’en trouve toujours meilleur. Séchage, conservation, et surtout qualité du tri sont dépendants d’une attention toujours plus grande, et d’investissements toujours plus conséquents.

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Giovanni Provera

Mais c’est surtout en ce lieu que s’opèrent deux des opérations qui déterminent largement votre choix final quant aux qualités que vous sélectionnez en magasin :

– l’abrasion, à la meule de pierre. C’est comme pour le blé : plus on enlève d’enveloppes au grain, plus le riz est blanc. Si l’on se contente de ne retirer que la première de ces enveloppes, on obtient un riz complet. Le fameux riz complet, emblème du mouvement bio des années Woodstock, et sacré produit d’avenir. Il fait partie des meilleures alternatives protéinées à une alimentation carnée, et beaucoup auront de grandes satisfactions en apprenant à le cuisiner.

– le riz peut également être « étuvé ». Ailleurs, on l’appelle alors « incollable ». Une opération que l’on pratique sur le riz « paddy », soit brut, tel qu’on le récolte dans les rizières, avec toutes ses enveloppes. Il s’agit de passer ce riz à la vapeur, pendant une heure. La vapeur transfère le goût du son vers le grain, lui donnant ainsi des arômes prononcés et très plaisants. Puis on abrase ce grain, jusqu’à le rendre lisse. On constate alors qu’il est devenu quasi transparent, malgré sa couleur jaune. Une transformation que l’on doit à une modification enzymatique des amidons pendant l’étuvage. Au final, le riz est goûteux… et incollable. Ce fameux riz incollable, qui serait un cauchemar pour les recettes asiatiques, et qui est un rêve pour la cuisine créole.riz4

Long, rond, rouge, glutineux, parfumé, étuvé, complet ou blanc, il en faut, des variétés pour satisfaire tous les goûts, pour s’adapter à toutes les cuisines. Paradoxes : les variétés qui font la grande réputation du riz italien, comme l’Arborio ou le Carnaroli, ne sont que peu consommées en France. Elles sont en effet majoritairement utilisées pour la préparation du risotto*, un plat aux milles déclinaisons encore trop méconnu au pays de la blanquette. Autre paradoxe, le riz complet, que les Italiens produisent pour nous, ne leur est pas du tout familier… Autant d’ingrédients d’un sacré méli-mélo d’habitudes culinaires autour d’un simple petit grain.

Mais rond ou long, de là-bas, d’ici ou d’Italie, Satoriz aime le riz. Félicie, aussi, tirlititi chapi pointi.

JM