Le quinoa, sur place en Bolivie

???????????????????????????????Article publié en septembre 2003

Petite graine, lourde responsabilité : celle de mieux faire connaître un aliment qui n’est a priori dans nos pays qu’un produit de plus. Un aliment qui nous permet de varier de manière exotique et très plaisante nos habitudes… de riches goinfrés de viande, de sauces et de pinard (Pas vous, pas vous…).

Un voyage en Bolivie sur les lieux de production nous fera voir les choses différemment. La quinoa est un enjeu pour des personnes qui nous ont reçus à leur table, pour des visages qui ne sont plus anonymes. Pour l’économie d’une région magnifique qui n’a guère d’autres solutions. Puissent ces quelques pages nous inciter à en consommer plus pour notre plaisir, notre santé, leur survie.

???????????????????????????????Arrivée à l’aéroport de La Paz, 4 200 m… La ville est plus bas, d’un gris ocre magnifique entre sommets blancs et contreforts arides, posée là avec l’évidence des lieux magiques. Mais à côté de nous, en haut, le spectacle de la vie qui grouille évoque davantage les images connues des bidonvilles, des cités sans urbanisme et de la misère qui rode.
Trois heures d’une route étonnamment rectiligne nous mèneront à Oruro, ancienne ville minière riche d’une culture ouvrière forte et d’un carnaval réputé. Ville d’apparemment peu de charme. Nous changerons d’avis après que Marvin, notre jeune guide bolivien, nous en fasse découvrir l’âme. C’est ici qu’est implantée Jatariy, la société franco-bolivienne qui nous approvisionne en quinoa. Jatariy, un véritable pari, nous y reviendrons.
Nous sommes sur l’Altiplano, ce haut plateau qui accompagne la cordillère des Andes durant près de 800 km. Il nous faudra encore bien trois heures de pistes caillouteuses après Oruro pour arriver sur les premiers lieux de production de la quinoa. Tout est distance ici, même en 4×4… On imagine ce que représente cet éloignement pour le paysan qui se déplace à pieds d’une parcelle à l’autre, ou qui attend patiemment l’arrivé d’un hypothétique véhicule qui lui fera gagner une journée.

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A flanc de coteau, une parcelle tardive.

Sur notre chemin, des troupeaux de lamas, parfois parés de bien mignons petits pompons colorés sur les oreilles. Soyez sûrs que ce n’est pas pour épater les touristes… Ici, il n’en passe jamais. Nous rencontrons également des vigognes, ce qui constitue une excellente nouvelle : cet animal d’une grâce inégalée était il y a peu encore menacé de disparition, victime de l’attrait que constitue sa laine, certainement la plus fine qui soit. L’interdiction d’en faire commerce porte aujourd’hui ses fruits. Le massacre est terminé, la race semble à nouveau pouvoir vivre et se reproduire en paix. Mais au fil des kilomètres et des heures qui s’écoulent, nous n’apercevrons que peu de bêtes, peu de cultures, peu de paysans. Quelques femmes courbées vers le sol, vers la terre. Et quelques champs de quinoa.

???????????????????????????????À plus ou moins 4 000 m, la quinoa est la seule culture possible avec la pomme de terre, autre pilier de l’alimentation locale. Et si l’incroyable paysage d’ici n’est qu’immensité plate harmonieusement cassée par de petits massifs éparts, les terres propices à la culture ne sont pas pour autant si nombreuses. Rien n’est semblable à ce qui pousse en France, lorsque les parcelles denses se côtoient en une mosaïque serrée. Sur l’Altiplano, même le lieu de culture semble aride, petit oasis de couleur dans un environnement qui l’est encore plus. Quant aux plants de quinoa, ils sont bien espacés : on ne retire qu’une vingtaine de quintaux de graine à l’hectare, cinq fois moins que les meilleures cultures céréalières bio de par chez nous.

???????????????????????????????Cette petite graine sacrée n’est donc pas une manne tombée du ciel mais le fruit d’un travail difficile, sur des terres rares, en des lieux retirés. Avec la rudesse d’un climat unique où le soleil frappe sans chaleur, spécificité des sites élevés, où les nuits sont très froides (fréquemment dix degrés en dessous de zéro), où l’oxygène est moins présent. Les travaux de la terre sont durs, ici plus qu’ailleurs encore. Si le labour est parfois mécanisé en plaine grâce à la contribution de Jatariy, il se fait entièrement à la main sur les coteaux. Quant à l’irrigation, elle est souvent inexistante, faute d’eau. Seuls quelques paysans ayant la chance d’avoir des sources sur les collines peuvent y avoir recours. Lorsque la terre est trop sèche, il arrive que des producteurs montent quelques récipients d’eau à dos d’homme ou de lama pour apporter le peu d’humidité qui s’infiltrera dans des trous creusés à la main. La lutte contre les parasites est également délicate : elle s’effectue en bio avec des extraits de pyrèthres mélangés à des plantes locales qui en renforcent l’effet, une technique mise au point grâce au financement de l’association humanitaire Point d’Appui. La récolte commence en avril, elle est presque terminée lorsque nous arrivons sur les terres, début mai.

???????????????????????????????Trois petites maisons de pierre, un four à pain : c’est le village. Les producteurs se sont déplacés de loin et regroupés chez l’un d’entre eux pour nous recevoir. Avec accueil musical, soit deux flûtes et un tambour joués par des hommes au visage buriné, sans âge. Fiers de nous faire profiter de cette musique des campagnes, de nous présenter leurs instruments. Nous apprécions, avant de les saluer : première poignée de main, puis large embrassade avec petites tapes dans le dos, suivie d’une seconde poignée de main. Un rituel bolivien qui dissipe quelque peu l’immanquable distance que créent nos différences. Nous sommes alors solennellement invités à rentrer dans une minuscule demeure où a été dressée une table derrière laquelle nous serons assis, en invités. Nos hôtes resteront entre eux, sur les côtés. On nous sert du lait de quinoa, dont on verse une larme sur le sol pour honorer la terre sacrée, Pachamama. Puis nous mangeons la quinoa, très goûteuse car préalablement grillée, servie avec un énorme morceau de lama, viande la plus répandue sur l’Altiplano. Goûteuse également, et réputée pour ne pas contenir de cholestérol… Stupide considération ! Ce qui apparaît sur le moment, bien plus prosaïquement, c’est qu’elle est terrible à mastiquer… et qu’elle est un cadeau. Nous terminons avec une assiette de pommes de terre variées. À même le sol, un enfant ne finit pas son repas, sans doute interloqué par notre présence. Sa mère s’empare des pommes de terre et lui glisse dans la poche.

quinoa2L’ambiance est d’une sérénité presque grave. Nous sommes heureux mais un peu gauches, intimidés par l’accueil qui nous est fait. Les paysans boliviens ne sourient pas, ou peu. Ils rient par contre volontiers aux plaisanteries de Jean-Marie, le seul parmi nous à bien maîtriser l’Espagnol. Ils ont un travail, un toit et à manger. Rien de plus. Pas d’électricité, ni d’eau courante. Ils vivent dans une extrême pauvreté, en un des lieux au monde où la mortalité infantile est la plus élevée.

Jean-Marie est alsacien d’origine. Installé en Bolivie depuis sept ans comme directeur de Jatariy, sa mission tient du sacerdoce : poussé par un engagement humanitaire dont l’intensité surprend, il s’emploie à développer la culture et le commerce de la quinoa dans une logique équitable. Position qui ne lui vaut pas que des amis chez les concurrents locaux, ni même le confort avec les paysans qui en bénéficient : payant la graine beaucoup plus chère que le cours du marché, il apparaît comme étant un « Monsieur Plus » dont le pouvoir et la générosité seraient sans fin… D’où de fréquentes et bien compréhensibles demandes des producteurs. Sensible, Jean-Marie se doit pourtant de ne pas céder à la sensiblerie qui rendrait impossible tout avenir sur l’Altiplano. Une ligne de conduite faite d’une détermination qu’il impose également dans les aspects techniques de l’agriculture biologique. Ainsi cette règle, rédhibitoire quant au contrat du producteur qui ne la respecterait pas : une parcelle doit se reposer trois ans après avoir été cultivée une année. Et non pas le contraire… Il s’agit de ne pas fatiguer inutilement des terres fragiles, afin de ne pas compromettre un potentiel agricole qu’on peut imaginer plus florissant à l’avenir.

???????????????????????????????Un avenir florissant pour la quinoa ? Ce serait un juste retour des choses : avant l’arrivée des Espagnols au seizième siècle, la graine sacrée fut un des piliers des cultures Tiwanaku, puis Incas. Des millions de personnes s’en sont nourris pendant plusieurs millénaires, portées par des sociétés dont le génie et la capacité d’entreprendre n’ont pas fini de surprendre.

Comment a-t-on bien pu en arriver là ? Durant cinq siècles, les paysans qui en ont préservé la culture furent toujours moins nombreux. Stop !

Jatariy, l’usine

???????????????????????????????Retour à la ville, Oruro. L’usine est de taille modeste, éclatante de propreté et de bon goût. C’est ici qu’arrive la graine, après avoir été préalablement triée trois fois par le producteur : d’abord par un battage au sol, afin qu’elle se détache de ce que nous appellerons la paille. Elle est alors passée au tamis, et enfin ventilée. Mais le travail est loin d’être fini. C’est la raison d’être de ce bâtiment que d’affiner encore la sélection et la pureté de la quinoa.

Habitués à visiter des entreprises, ce lieu nous est pourtant apparu comme un véritable tour de force. Pied de nez à ceux qui se morfondent sans agir dans un pays qui n’avance guère, nous garderons en tête la fierté des Boliviens qui nous la font visiter, et il y a de quoi : tout est d’abord établi pour que cette fameuse et aujourd’hui indispensable traçabilité soit maximale.

???????????????????????????????Des silos individualisés permettent d’identifier et de séparer les provenances, à la parcelle près. Le travail sur la graine commence alors. Il pourrait être rébarbatif de trop entrer dans les détails, mais tout aussi dommage d’occulter les différentes étapes d’un processus qui fait la qualité de ce que nous retrouvons dans l’assiette. Sachez donc que la graine doit être débarrassée des impuretés qui l’accompagnent encore à réception. Elle est aussi lavée, afin d’éliminer la saponine qui la rend amère à l’état brut. Puis séchée et triée une nouvelle fois pour établir trois calibres : le plus gros vous est livré en sachet, l’intermédiaire est utilisé pour la transformation, le plus petit étant rejeté. Terminé ? Presque. La graine sera craquante sous la dent, mais la dent ne souffrira pas ! Seul un contrôle visuel permet à l’heure actuelle d’éliminer les rares graines qui passent à travers le dispositif sans être conformes. Ce dernier tri s’effectue à la main, c’est un travail répétitif. Une des raisons pour lesquelles tout employé est ici polyvalent et que les tâches à accomplir sont redistribuées chaque semaine.

???????????????????????????????Tout est fait pour ce que l’on appellera le confort de l’ouvrier, sans démagogie. Une bien agréable salle de repas vient notamment d’être construite. Tout est également fait pour la qualité et la sécurité du produit, vous l’avez compris. Avec normes iso 9 002 et HACCP.
Une belle rigueur, une belle équipe. Des pas de géants. Grâce à l’argent des Français ? L’argent, on l’a déjà vu plus mal utilisé… Notons que Ratariy n’est toujours pas rentable,au bout de sept ans… Elle le deviendra,c’est décidé.

Mais ce que nous retiendrons, c’est l’incroyable détermination dont font preuve ici ceux qui ont décidé d’aboutir. Au-delà de l’idée d’entreprise. Une détermination à vous faire croire au genre humain.

“Le” ou “La” quinoa ?

Les premiers consommateurs disaient « la » quinoa. Mais le Larousse est formel : c’est « le » quinoa. Qu’à cela ne tienne, Priméal, distributeur français historique de cette graine mythique inscrira « le » sur les paquets. Depuis, d’autres dictionnaires « autorisent » indifféremment l’emploie du masculin ou du féminin. Une fin provisoire pour cette histoire ? Sur ses nouveaux emballages, Priméal a trouvé une solution pacifique et fédératrice : il y est inscrit « Graine de quinoa ».
Plus d’problème !

JM

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