Le pruneau d’Agen Fonbio

fonbioOhhh… Après quinze ans de Sat’Info ou peu s’en faut, des considérations sur les fruits secs en veux-tu en voilà, des dossiers sur les abricots de Turquie, des reportages sur l’amande espagnole ou des articles sur les figues Zagros des hauts plateaux iraniens, pas un mot, une attention, pas l’ombre d’une incitation dans nos pages à la consommation du fruit sec français par excellence, le fameux Pruneau d’Agen. C’est quoi, cette affaire ? !!! Et pas un seul lecteur pour nous le signaler ? Pas un mail courroucé pour le déplorer, pas un mot bienveillant de consommateur éveillé pour nous inciter à réparer l’oubli ? Paix, faisons fi du passé et filons gaiement ensemble au pays du pruneau et des villes ou villages en « ac ».

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Bergerac, Nérac, Gaillac, Moissac, la liste est infiniment plus longue encore et fait rêver. Coup double pour nous sur ces « ac », puisque nous arrivons à Razac de Saussignac, à quelques kilomètres de Monbazillac (bonus). Razac de Saussignac, au sud de la Dordogne et pas loin du Lot et Garonne, un mignon petit village tiraillé entre son amour du vin et celui du pruneau, on connaît pire destin.
Nous choisirons pour le jour l’option fruit sec avec la visite de l’entreprise de la famille Pallard, qui travaille de la prune au pruneau sur 65 hectares et quelques grands et hauts fourneaux, soit largement assez d’occupations pour les trois générations qui ont la chance d’y unir leurs efforts.

 

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La Prune d’Ente

Le pruneau sec est une spécialité millénaire. Historiquement et partout dans le monde, la prune séchait au soleil, ou dans les fours à pain. Même chose en France avec une variété de prunes romaines et ce jusqu’au xiiie siècle, période à laquelle les croisés ont ramené de Damas une nouvelle variété de prunier. Cette variété, les moines de Clairac eurent l’idée de la greffer sur le prunier local, et ce fut le début d’une grande histoire. Il en résulta une prune charnue parfaitement adaptée au terroir local qu’on appellera par la suite « Prune d’Ente », du vieux français « enter », qui signifiait greffer.

???????????????????????????????Par chance, cette jolie prune a également une belle aptitude au séchage, d’où la spécialité bien connue qui intégrera à son nom celui de la ville portuaire qui permettait de l’acheminer jusqu’à Bordeaux via la Garonne, Agen.
Avant de déguster la prune sur l’arbre, votre serviteur se rappelle un fait récurent concernant nombre de fruits secs précédemment observés. Ils sont bons secs, c’est leur fonction. Mais plus peut-être que tout autre fruit, ils le sont également en bouche, frais. Ainsi l’abricot de Malatya présente-t-il des parfums exceptionnels lorsqu’il est dégusté à peine cueilli ; ainsi le raisin turc, à l’origine des fameux Sultanines et Thomson que nous connaissons secs, craque-t-il sous la dent comme nul autre lorsqu’on le consomme en grappe, avec des arômes et un taux de sucre qui ne nuisent aucunement à son côté rafraîchissant. Qu’en sera-t-il avec la Prune d’Ente, peu connue pour la consommation de bouche ?
À peine arrivés sur les vergers, il nous est proposé de la goûter. Et c’est bien un cadeau de bienvenue : magnifique ! La prune d’Ente soigne son entrée et séduit au premier clin d’œil. Généreuse, craquante, douce et très parfumée, on s’étonne de ne pas l’avoir rencontrée plus tôt. On ne vous infligera pas l’énoncé de notre « loi des fruits secs », pourtant prétentieusement formalisée sur le champ ; nous nous rendons plus utiles en travaillant dès à présent et avec enthousiasme sur l’année 2013, puisque nous nous engageons à proposer cette prune sur les bancs de fruits Satoriz dès l’été prochain, de mi-août à fin septembre, une première.
Le ton est donné, et les explications de Patrice Pallard nous confirment ce que nous avions supposé… Nous sommes tombés sur des bons ! Non contente de travailler selon les règles de l’appellation et en conformité avec le cahier des charges bio, la famille Pallard régale en innovant, ce que nous allons clairement vous expliquer en trois points, bim bam boum, c’est fou ce qu’on peut être clairs, vous allez être surpris, à tel point qu’on en mettra quatre, tiens.

 

La culture

fonbio4C’est Christian Pallard, à présent le Grand-Père, qui a planté à partir de 1992 les 65 hectares du verger. Mais il ne l’a pas fait selon les normes en vigueur depuis si longtemps dans la région, avec 300 à 400 arbres par hectares. Lui a choisi d’en mettre 1000 ! Il a inventé par là même la culture Haute Densité, tout ce qu’a priori on n’a pas trop envie de valoriser en bio… Mais les apparences sont trompeuses, et c’est bien à la qualité du fruit que bénéficie ce nouveau type de plantation, lequel a depuis fait école. Les arbres sont plus petits ; la taille est sévère et la densité moindre ; au bout du compte, les prunes ont plus d’arômes et de sucre, et si les rendements ne sont pas meilleurs, loin s’en faut, le travail de récolte en est facilité, on y reviendra. Il fallait avoir l’idée, oser, puis évaluer les résultats, Monsieur Pallard l’a fait.

Mais quelle somme de travail, en bio ! Outre la taille, qui doit laisser moins de branches sur l’arbre mais les conserver « bien à plat », outre les classiques et prenantes luttes contre les pucerons, la rouille ou le carpocapse comme souvent en arboriculture, il faut désherber mécaniquement quand un ou plusieurs passages à l’herbicide font l’affaire en conventionnel. Le souci majeur étant de lutter contre les rejets de l’arbre, qui s’accumulent au sol autour du tronc et qu’il ne faut pas laisser se développer. Que ceux qui s’étonnent du prix des fruits bio s’acquittent de cette tâche ne serait-ce que sur un rang !

Chaque arbre donnera une moyenne de 15 kilos de prunes, pour 5 kilos de futurs pruneaux, ce qui est peu. Pour mémoire et parce que ça ne fait pas de mal de le répéter, c’est 60 % de moins qu’en conventionnel.

 

La récolte

fonbio6Pour récolter, il faut bien sûr attendre que le fruit soit mûr, ce qui se mesure. Concernant le pruneau, on doit attendre que ce taux se situe entre 25 et 30 « brix », vous pourrez briller dans les salons avec une info comme ça. Mais chacun comprendra que tous les fruits n’atteignent pas cette fourchette en même temps, certains mûrissant plus vite que d’autres.

fonbio7La difficulté de la récolte consiste donc à ne cueillir que les fruits murs, ce qui exige de passer dans les rangs le plus souvent possible. Et c’est là que l’inventivité de Monsieur Pallard a encore fait mouche ; il a mis au point rien moins que la machine à récolter le pruneau, et l’a fait fabriquer. L’avantage, comme avec une machine à vendanger dont elle s’inspire, c’est que son invention passe facilement dans les rangs, au-dessus des arbres. Un ingénieux système permet de ne récolter que les fruits les plus mûrs, qui tombent et sont recueillis suite à de légères frappes sur les bords des troncs. Le système étant rapide et performant quant à la sélection des fruits, il est possible de renouveler les passages tous les 2 à 3 jours et d’optimiser ainsi la qualité. Problème, voyez la photo ! On peine à faire entrer la machine dans le garage à vélo…

La cuisson

fonbio8Les prunes récoltées, on procède comme avec beaucoup d’autres fruits en écartant les feuilles par soufflage, puis on lave, on trie, on calibre… Arrive la spécificité du pruneau, qui doit être cuit. Là, il ne faut pas y aller de main morte, l’opération se faisant à 85° pendant 20 heures, dès la récolte. Ceci permet de cuire le fruit lorsqu’il est à son pic de maturité et de fermeté, et de pouvoir ainsi le conserver de nombreux mois. Mais ce pruneau fraîchement issu de prune est trop déshydraté pour être agréablement consommé tel quel, car nos mâchoires en pâtiraient… Il n’y a pourtant pas le choix : bien cuit, il est certes dur, mais s’il l’était moins, il ne se conserverait pas… Si c’était simple, ça se saurait ! Il faudra donc le réhydrater avant de pouvoir s’en délecter.

 

La réhydratation

fonbio9C’est la dernière phase, et là encore le pruneau Fonbio se distingue. Une ultime trouvaille du doyen de la famille Pallard ? Non, pas cette fois-ci… C’est une proche connaissance qui a fait évoluer le système et l’a fait breveter, voici de quoi il s’agit.
Le pruneau cuit est donc trop sec. Pour le réhydrater, tout esprit sensé tremperait ce pruneau dans une grande quantité d’eau, et le retirerait une fois à point. C’est ce que fait l’ensemble de la profession. Mais il y a deux inconvénients à cette pratique. Le premier, c’est qu’on génère des eaux de trempage, qu’il faut recycler. Le second concerne le goût du pruneau : qui dit eau de trempage dit perte d’arômes, de la même manière que des carottes cuites à l’eau s’appauvrissent en saveur. Une meilleure solution pour hydrater le pruneau consiste donc à le tremper directement dans la bonne quantité d’eau, qui doit être prédéterminée. La difficulté réside dans la nécessité d’avoir constamment à mettre en mouvement l’ensemble « eau plus pruneau », afin que l’hydratation soit régulière et homogène. C’est là l’objet du brevet.

 

Après le repas…fonbio5

Belle attention de Madame Pallard, qui nous reçoit à sa table durant la pause. Sympathique rencontre que celle de cette famille unie autour d’un noble métier et qui cherche inlassablement à en optimiser tous les aspects. Mais ses inventions sur le pruneau font-elles réellement la différence au palais ?
Vous pouvez déguster, ou mieux encore comparer, ce que nous avons fait de notre côté. Les pruneaux Fonbio se distinguent par quelques caractères que nous allons tenter de vous décrire en conclusion.
Ils ont tout d’abord une bonne tenue, et n’ont pas tendance à « fondre » dans le paquet. Leur peau est intacte, qui libère la chair quand on la craque. L’impression de caoutchouc n’est jamais présente, pas plus que celle de trop cuit. Et les délicieux arômes typiques du pruneau cuit enrichissent la première perception en se révélant progressivement, rendant ainsi un bel hommage au plus réputé des fruits secs français, se dont on se souviendra dorénavant.

Plus réputé ? Et la noix, alors ? Ahhh… Marions-les !

JM