Le chanvre, c’est maintenant !

Le chanvre est en train de ressusciter. Cultivé depuis des millénaires, utilisé comme source d’alimentation, mais aussi et surtout dans les industries du bâti, du papier et du textile, il avait été oublié. Ou plutôt banni par les lobbies de l’industrie du coton, du pétrole, des cultures forestières et de la chimie, bien décidés à se passer de la concurrence de cette plante polyvalente et facile à cultiver pour conquérir le marché à l’aube du xxe siècle. En 1937, une loi américaine instaura la taxation de la production, du commerce et de l’usage industriel du chanvre. Ce fut le début de l’amalgame entre chanvre cultivé et cannabis récréatif, puis vint le temps du discrédit. Depuis les années 1990, on assiste à un renouveau, timide mais réel, actuellement en phase d’accélération. La France est le premier producteur européen de chanvre. Culture écologique, plante au potentiel énorme, bourrée de vertus nutritionnelles et médicinales : le chanvre a véritablement tout pour devenir la plante du xxie siècle. À une seule condition, que tout le monde s’y mette ! Plus la graine de chanvre sera consommée, plus sa filière de production pourra se solidifier, de nouveaux producteurs s’installer… et plus le chanvre redeviendra accessible. Pour donner de l’élan ce cercle ultra-vertueux, c’est maintenant !

Rappel : Il convient de faire le distinguo entre chanvre cultivé et cannabis récréatif. Les deux plantes font partie de la famille des cannabinacées (Cannabis Sativa), mais leur taux de THC (l’élément psychotrope de la plante) diffère. Celui des variétés cultivées et industrielles est inférieur à 0.2% : il est donc sans aucun effet psychotrope.

 

Petite graine, maxi-potentiel

Du chanvre, on peut tout utiliser : la tige pour le tissage des vêtements ou la fabrication du papier, l’huile de sa graine comme carburant ou soin de la peau, la fibre comme peinture, vernis, bioplastique… Mais celle qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la graine. On dit qu’il s’agit de la plus nutritive au monde. Rien que ça ! La graine de chanvre est une source complète d’acides gras et de protéines, avec la présence de tous les acides aminés essentiels. Autrement dit, la vie humaine serait possible rien qu’avec elle… Avouons que ça en jette !

La graine de chanvre contient environ 25 % de protéines (32 % pour la graine décortiquée). Les protéines du chanvre renferment les 9 acides aminés essentiels, c’est-à-dire non produits par notre organisme, ce qui est rarissime dans le règne végétal. Elle est également riche en fibres, en vitamines (notamment la vitamine E, puissant antioxydant) et en minéraux (calcium, fer, magnésium, phosphore). Côté acides gras, c’est l’équilibre parfait entre oméga-3 et oméga-6, avec un ratio idéal de 1 pour 3 qui permet de prévenir les troubles cardiovasculaires et inflammatoires. Une panacée, d’autant que la graine de chanvre est hautement digeste, naturellement sans gluten et réellement savoureuse !

 

Culture vertueuse

Pour parfaire le tableau, le chanvre se révèle être une plante robuste et facile à cultiver. Elle pousse en quatre mois n’importe où sur la planète, avec peu d’eau et d’intrants. Excellente en rotation avec des céréales, sa culture améliore les sols et favorise la biodiversité des insectes et des auxiliaires. La plante fixe une grande quantité de CO2 dans sa paille, avec un effet positif sur la réduction des gaz à effet de serre.

Sat’info est allé à la rencontre de Vincent Lartizien, cultivateur et transformateur de chanvre dans les Landes, à quelques kilomètres des vagues de l’Atlantique… Cet ancien surfeur professionnel a découvert la plante pendant les deux décennies qu’il a passées du côté d’Hawaï, où le mouvement hippie –chercheurs, scientifiques, artistes – avait pris ses quartiers d’été. Du chanvre, ils disaient qu’il allait sauver l’humanité. Vincent s’en souvient quelques années plus tard et s’imprègne de l’idée. Vêtu de sa fibre et grand consommateur de ses graines, il « vit » la plante dans sa globalité et affirme qu’elle le tire vers le haut. Parce qu’il touche à tous les besoins de l’humanité, le chanvre devient son optique de reconversion professionnelle. En 2015, Vincent pose ainsi le premier maillon d’une filière de production dans le Sud-Ouest de la France, où la culture du chanvre est alors inexistante. Une filière agricole assortie d’un outil industriel qui permet aujourd’hui de dépelliculer les graines et bientôt de transformer toutes les parties de la plante.

Vincent Lartizien travaille en partenariat avec une cinquantaine de producteurs bio des Landes, des Pyrénées-Atlantiques et du Gers. Féru de biodynamie, il guide ces derniers dans l’amélioration de leurs pratiques, récolte après récolte. Et insiste sur le travail à fournir au niveau des sols, qui même en bio présentent de trop nombreux déséquilibres. L’objectif : réveiller une agriculture vivante avec des sols sains, en utilisant des outils innovants issus du bon sens et des découvertes de la physique moderne.

Loin d’être stable, la filière chanvre du Sud-Ouest en est encore à ses balbutiements. Elle nécessite d’être accompagnée et encouragée. Pour Vincent, un partenariat avec une entreprise du milieu bio partageant ses valeurs s’avérait indispensable. Ce sera chose faite avec Ékibio, dont vous connaissez la marque Priméal, pionnière du quinoa et championne du petit épeautre de Haute-Provence !

 

 

La notion de filière

Chez Ékibio, on n’a pas la prétention de faire ce que l’on ne sait pas faire. On privilégie au contraire l’association de compétences ; c’est d’ailleurs ce qui définit une filière. Culture, première transformation, innovation puis promotion du produit sont pilotées par des acteurs différents ; à chacun son métier. Située en bout de chaîne, Ékibio se charge de rendre le produit accessible aux consommateurs. Une convention de développement signée avec l’entreprise de Vincent permet à ce dernier d’avoir une visibilité sur six années. Pas rien !

Comme souvent*, la rencontre humaine a lieu sur un salon dédié aux produits bio. Chacun partage ses visions, ses attentes, puis on pose le premier jalon, on donne le temps au temps et aux cycles agricoles, on laisse grandir les racines d’une relation de confiance… Quatre ans plus tard, le résultat est enfin là puisque le chanvre de Vincent, sous les couleurs de Priméal, va pouvoir arborer dès la récolte 2020 le label Biopartenaire : bio, équitable et solidaire** !

*On peut relire par exemple l’histoire du quinoa
** Là encore, rendez-vous sur notre site pour prendre conscience
de la qualité du label Biopartenaire.

Le chanvre, accessible

Chez Priméal, c’est Claudine Demay qui œuvre à rendre le chanvre plus pratique et plus accessible. Les lecteurs de Sat’info connaissent cette grande experte de la cuisine bio, curieuse par nature, maman du quinoa et du petit épeautre ! Claudine a été interpellée par sa rencontre avec Vincent Lartizien et la dégustation de ses graines de chanvre décortiquées. Il faut dire qu’il y a une bonne dizaine d’années, elle avait déjà développé un couscous aux graines de chanvre pour la marque Priméal. Mais l’amalgame chanvre/cannabis était encore si présent et les lettres de consommateurs furent si nombreuses qu’il lui avait fallu tout mettre entre parenthèses… Enfin, convaincue de l’intérêt global de la graine dans ses différents usages et rassurée par son retour en force, Claudine s’est remise à plancher !

Entière, la graine de chanvre est un peu fibreuse et rustique à mâcher, mais son enveloppe préserve la qualité des acides gras. L’idée de la toaster très légèrement donne à l’enveloppe un côté plus croquant et agréable en bouche, révélant au passage son petit goût de cacahuète. Cette graine toastée, Claudine la glisse dans un taboulé que l’on réhydrate avec juste un peu d’eau bouillante. Elle nous conseille aussi de l’ajouter dans le pain maison, ou bien de préparer du gomasio de chanvre (voir la recette de Linda Louis page 27).

Décortiquée, la graine de chanvre est sensible à l’oxydation, il convient donc de la conserver de préférence au réfrigérateur une fois le sachet ouvert. Dommage, on l’aurait bien laissée posée sur la table pour en parsemer toutes nos salades et assiettes de céréales : elle est tellement savoureuse, avec son petit goût de beurre !

Quand on presse la graine de chanvre, il reste ce que l’on appelle le tourteau, une poudre riche en protéines qu’il est impensable de la jeter ! Claudine a eu l’idée de la mélanger à de la farine de blé dur afin de fabriquer de petites pâtes grosses comme des perles, que l’on retrouve dans les « Mélanges veggie » en compagnie de céréales et de légumineuses (chanvre, lentilles et boulgour / chanvre, pois cassés et riz). Ces mélanges se cuisinent comme du riz mais permettent de découvrir le bon goût du chanvre.

 

6 questions à Linda Louis,
autrice de Super chanvre et CBD aux éditions Alternatives

Comment as-tu découvert le chanvre ?
C’était vraiment très informel à l’époque, mais je crois que ma mère en mettait déjà dans ses salades ! Puis il y a eu des modes : les graines de pavot, de courge, de sésame, de tournesol… Le jour où j’en ai eu marre d’utiliser toujours les mêmes, j’ai repensé aux graines de chanvre. Et en constatant l’étendue de leurs vertus, je me suis dit que cela valait vraiment le coup de creuser ! J’y vois aussi quelque chose de militant, car c’est une plante historiquement française et il faut encourager ceux qui la produisent.

Quelles parties du chanvre utilises-tu ?
J’utilise surtout les graines, entières ou décortiquées, mais aussi l’huile de chanvre et le résidu sec obtenu suite à son extraction, le tourteau, communément appelé « farine de chanvre » ou « protéine de chanvre ». J’utilise également les feuilles, que l’on peut cultiver chez soi mais dont la commercialisation est interdite. On peut planter des graines de variétés autorisées (et bien sûr non toastées !), mais la réglementation impose de déclarer ce semis à la préfecture. Sinon, on peut simplement aller trouver un producteur près de chez soi. Ces feuilles, je les fais sécher puis je les réduis en poudre pour en mettre dans des pancakes, les cookies…

Comment cuisines-tu les graines entières ?
Non toastées, les graines de chanvre peuvent germer et ont une saveur très intéressante. Elles peuvent être transformées en huile, en lait ou en crème végétale. À la maison, j’en fais surtout du gomasio (voir recette page 27), des granolas salés et du lait de chanvre. Il faut compter 200 g de graines de chanvre entières pour 900 ml d’eau environ. J’ajoute 50 g de sirop d’érable ou de miel pour atténuer l’amertume. En l’absence d’épaississants ajoutés, le lait maison va déphaser, ce qui est normal ! On le garde jusqu’à 3 jours et on récupère l’okara pour préparer des galettes, par exemple.

Et les graines décortiquées ?
Je les mixe en purée que j’utilise comme une purée d’amande ou de sésame. Certes, les tanins du chanvre lui donnent une légère amertume (moindre dans la version décortiquée), mais on accepte bien celle du sésame ou de la noix fraîche, alors pourquoi pas ? J’adore en faire une crème dessert en cuisant quelques minutes du lait de chanvre avec un peu de fécule et de vanille, que je mélange avec de la purée de chanvre. Je transforme également les graines de chanvre décortiquées en crème végétale en les mixant avec le même poids d’eau. En ajoutant un peu de vinaigre, on obtient une sauce salade qui dépote ! J’adore la servir avec des légumes un peu sucrés, courge ou potimarron rôtis par exemple. Il n’y a pas plus rapide et zéro déchet pour obtenir une crème végétale qui remplace celles du commerce !

Une idée pour consommer l’huile de chanvre et profiter de ses bienfaits ?
C’est une huile que l’on ne fait pas chauffer. Je l’ajoute dans les vinaigrettes en compagnie d’huile de colza ou du tournesol, issues du même terroir. Je l’utilise également pour préparer des pestos à base de graines de chanvre, de basilic ou d’ortie, par exemple. Le matin, j’aime bien préparer une crème Budwig dans laquelle je remplace l’huile de lin par de l’huile de chanvre.

Avec quelles saveurs aimes-tu particulièrement associer le chanvre ?
Avec le cumin, dont le berceau historique est proche de celui du chanvre. Mais aussi avec les céréales cultivées en France, comme l’avoine ou le petit épeautre, ou encore une pseudo-céréale comme le sarrasin. Je fonctionne beaucoup par association d’ingrédients autour des terroirs français, mais j’ai aussi testé avec succès le mélange chanvre-chocolat et chanvre-thé matcha !

 

Ananda et cie

Basée en Savoie, Ananda et cie est une association qui commercialise depuis 2001 des produits à base de chanvre. Ananda transforme les graines d’une famille de producteurs basée dans la Creuse. La matière première est séchée en plein champ, ce qui diminue son acidité et améliore sa stabilité, donc sa qualité lors de la conservation.

Disposant d’une presse à huile, Ananda transforme les graines de chanvre et valorise tous les sous-produits issus de l’extraction, notamment la « farine de chanvre ». Obtenue après blutage des tourteaux, cette dernière contient 30 à 40 % de protéines hautement assimilables, des vitamines A, B1, B2, B3, B6, du calcium, du phosphore et du fer. Riche en fibres et dépourvue de gluten, la farine de chanvre n’est pas panifiable et doit être associée à d’autres farines pour obtenir de bons résultats (5 à 7 % pour une pâte à pain, 10 à 20 % pour des pâtes à tartes salées ou sucrées, à galettes ou à cake). Sa légère amertume disparaît presque totalement à la cuisson.

Ananda propose également des graines de chanvre nature, non toastées. Vous pourrez les transformer comme bon vous semble et même les faire germer ! Des recettes sont disponibles sur leur site.

CC