La Réserve de Champlat – Cuisiniers et conserveurs

Il est de bon ton de railler l’usage du légume en conserve, sorte de cousin ingrat du légume frais planqué dans un bocal en verre ou une boîte métallique. Vrai : la courgette en conserve est certainement moins goûteuse et moins riche en nutriments que celle fraîchement cueillie au jardin et doucement mijotée dans notre cuisine. Vrai aussi : la courgette en conserve est certainement plus goûteuse et plus riche en nutriments que celle achetée fraîche il y a dix jours, conservée au réfrigérateur et que l’on bouillit vite fait à la casserole en pensant que le mieux est l’ennemi du bien. Vrai de vrai, derrière un bon légume en conserve, il y a un artisan qui maîtrise l’art de le mettre en bocal juste après cueillette, préservant ainsi le maximum de ses qualités gustatives et nutritionnelles. Prêts à troquer quelques idées reçues ? A vos flageolets, partez !

champlatComme ma grand-mère qui stockait ses bocaux de cornichons maison dans l’appentis, un couple d’artisans bio jusqu’au bout de la cuillère en bois, a démarré son activité commerciale dans les années 1970 en empilant des conserves dans la réserve attenante à leur maison de Champlat, dans le Gard. D’où le nom de la conserverie où nous nous rendons, la Réserve de Champlat, reprise il y a une dizaine d’années par Linda et Nicolas, ses actuels propriétaires. Leur métier : cuisiniers et conserveurs. Leur casquette, double : artisans et industriels. Artisans en cuisine, comme à la maison. Industriels sur la partie conservation, pour laquelle rien n’est laissé au hasard.

Notre visite se déroule fin août, en plein dans le pic de la saison, celle de la récolte des tomates et des légumes à ratatouille. Suivront les pommes, puis les légumineuses, les cueillettes s’échelonnant ainsi jusqu’à la mi-avril. Champlat est une entreprise de proximité au sens humain et géographique du terme. Son écosystème de production s’articule autour de partenariats historiques et/ou locaux très forts : la plupart des légumes sont récoltés dans la région, le tofu de la sauce bolognaise est celui du voisin d’à côté (Tossolia, voir Sat’info n°121), et lorsque certaines légumineuses doivent être récoltées plus loin, c’est en Lozère, en Bretagne ou en Vendée, à la faveur de partenariats noués de longue date. On se réjouit au passage que les tomates soient provençales et les aubergines et les courgettes issues de deux zones de production protégées, qui correspondent à celle de l’eau de source Perrier et la Réserve de Biosphère du Mont Ventoux. De vrais produits d’exception.

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Artisans cuisiniers

Le travail de la conserverie, dicté par les saisons et les caprices de Dame Nature, est particulièrement intense en cette fin d’été. Linda et Nicolas sont sur le pont, au four et au moulin. A notre arrivée à la conserverie, après un passage par les champs de tomate dont nous avons suivi la récolte, Nicolas est déjà les mains dans le cambouis, en train de touiller l’immense cuve de coulis de tomate. En-dehors du fait que notre cuillère en bois ferait office de miniature de collection à côté de celle de Nicolas, ses gestes et ses ustensiles sont les mêmes que les nôtres lorsque nous remuons le coulis fait maison. Les biscottos en plus…

champlat2Le reste de l’équipe, aidée des saisonniers, s’active autour de la cuisson de la ratatouille. Chaque légume est cuit séparément dans une grande sauteuse avant que tous soient réunis dans la grande marmite, ainsi que l’exige la recette niçoise traditionnelle. Comme nous l’aurions fait à la maison, les légumes, non pelés, sont coupés en bouchées et cuits dans une quantité juste suffisante d’huile d’olive (fait à souligner, car on rencontre parfois des ratatouilles en bocal à l’huile de tournesol…). Les morceaux restent ainsi entiers, préservés d’une surcuisson qui les aurait délités. Le résultat est goûteux et peu gras, exactement comme à la maison. Mais avec une précision que grand-maman n’aurait peut-être pas eue dans le dosage du thym, ajusté ici selon sa force aromatique, elle-même liée à la zone et à l’époque de sa récolte. Artisanal ne signifie pas hasardeux…

Les conserves qui sortent de la Réserve de Champlat ont en commun d’être peu grasses et peu salées. Très peu de recettes sont enrichies en sucre, et uniquement lorsque cela est nécessaire. Les listes d’ingrédients sont les plus courtes possible, les recettes simples et fidèles à leur dénomination : la ratatouille est niçoise et non « à la niçoise », appellation qui autorise à prendre des libertés que Champlat ne s’autorise pas. Le coulis de tomate est « à l’ancienne », la sauce tomate « provençale », et chaque mot a du sens.

Pour chaque production, les légumes sont d’abord lavés, puis les queues ou autres parties non comestibles sont enlevées à la main avant le passage des légumes à la découpeuse. Ils sont ensuite cuits dans des sauteuses ou bien directement mijotés dans de très grandes marmites en inox. Celles-ci ont une double paroi au milieu de laquelle circule de l’eau et dont le fonctionnement est proche du bain-marie. Si la cuisine aux normes « tout inox » rappelle celle d’une collectivité, il n’empêche que l’on touille ici à la spatule en bois, car Nicolas n’a pas encore trouvé mieux en termes de préhension !

 

L’art du métier de conserveur

champlat3Artisan en cuisine, Champlat revêt l’habit de l’industriel, au sens noble du terme, en passant à la mise en conserve. Technique, pointu, l’art du métier de conserveur ne souffre aucune inexactitude. Il en va de la qualité des produits et de la santé de celui qui les consomme. La responsabilité du conserveur tient en un « ploc », celui que fait le couvercle lorsqu’on le dévisse du bocal de verre. Ce son rassurant garantit l’étanchéité de ce dernier. Le claustridium botulinum, bactérie responsable du botulisme, est quant à elle réduite à néant par une stérilisation de 3 minutes à 121 °C. Celle-ci peut aussi être plus longue, à une température moindre, encore plus respectueuse du produit. Pour ces réglages au quart de degré et à la seconde près, confiance est faite à Nicolas qui a travaillé des années durant à l’ajustement des réglages de l’autoclave.

champlat4La stérilisation est sans nul doute la phase la plus délicate du travail de conserveur et exige un grand savoir-faire : durée et température sont fonction du degré d’acidité du produit. Si fermer un bocal à 90 °C sans stériliser pourrait suffire pour des recettes très acides comme le coulis de tomate, le passage à l’autoclave assure une véritable sécurité alimentaire. Pour préserver au mieux les saveurs, les paramètres de chaque recette ont été optimisés afin que les légumes soient mis en bocal en cours de cuisson et finissent de cuire pendant la phase de stérilisation. Les pots sont fermés par une capsuleuse automatique qui assure le vide d’air, puis stérilisés dans un autoclave fonctionnant à la vapeur d’eau. Sa montée en température très rapide (de 60 à 120 °C en 5 minutes) évite les phénomènes de surcuisson.

L’art de consommer les conserves

Après cette visite, l’auteur de ces lignes ne pourra plus jamais dire que les conserves sont trop cuites, trop grasses ou trop salées sans que son nez s’allonge. Il y a bien conserve et conserve. Puisque nous avons la chance de pouvoir consommer les meilleures de toutes, il serait bien dommage de s’en priver. D’autant que la conservation présente aussi des avantages nutritionnels liés à la chauffe et à la concentration du produit sur une longue durée : le licophène, antioxydant naturellement présent dans la tomate, par exemple, voit sa teneur augmenter. Tout bénèf.

champlat5Un autre avantage ? L’eau de saumure des pois chiches, en se concentrant, donne un « jus » aux propriétés étonnantes. Placez-le dans un cul de poule et montez-le en neige comme vous le feriez de blancs d’oeuf. Ce « blanc de pois chiches » en possède les mêmes avantages : goût neutre, utilisation à cru ou en cuisson, il permet de réaliser des textures mousseuses comme des meringues françaises ou italiennes. A nous les tiramisus, mousses au chocolat, îles flottantes et macarons 100% végétaux !

Il est probablement inutile d’insister sur l’aspect pratique des conserves. On ouvre, on réchauffe, on consomme : tout le travail de cueillette et de préparation minutieuse a été fait par des pros et il ne nous reste qu’à en savourer le résultat les jours où le temps ne nous permet pas de faire aussi bien, ni mieux. Nous avons officiellement le droit de nous en réjouir, sans avoir honte de présenter à la tablée une simple casserole de flageolets à écraser à la fourchette sur du bon pain, avec une noix de beurre. Les plaisirs simples de notre enfance sont parfois aussi dans le pot…

 

 

 

Les recettes de Clea :

Lasagnes aux lentilles vertes et à l’aubergine niçoise

Chaussons aux petits pois et fromage de chèvre

Brownies chocolat et haricots rouges

Clafoutis à la macédoine de légumes

Houmous

CC