Vivement le printemps ?

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gazette1Trois lunes décisives, de mars à mai, pendant lesquelles le cultivateur avisé ne doit en aucun cas prêter crédit à la première hirondelle qui fuse ou au premier rayon qui lui fait tomber la chemise pour décréter la fin de la trêve hivernale. Du truculent jardinier à moustaches jusqu’à notre sympathique et très branchée voisine interrogeant son encyclopédie portable, combien sont-ils à avoir découvert, impuissants dans le petit matin lumineux, l’ampleur des dégâts ? Pas de quoi déprimer cependant : une fois le ciel maudit, il suffit de recommencer et tout sera vite oublié ! Voilà pour vous et moi, mais… pour nos amis maraîchers et arboriculteurs, les enjeux sont bien différents, et cette période de transition et de renouveau est souvent décisive pour la suite. Papa, ça veut dire quoi aléatoire ?

gazette2Evidemment, c’est du côté des cultures pérennes d’arbres fruitiers que la période est la plus délicate. Car, une fois le processus inexorable de montée de la sève amorcé, la jeune pousse se trouve exposée dans toute sa fragilité à ce que va décider le ciel. Qui distribue ses faveurs et ses colères sans trop de discernement, osant même punir les gentils bio.

Trois moments, trois stades successifs mobilisent toute l’attention des arboriculteurs. Le premier va du gonflement des bourgeons jusqu’à l’apparition des premiers boutons floraux, qui ne sont que sève finement enveloppée. Cette séquence est celle d’une vigilance de tous les instants avec la crainte de l’aube suivant les nuits claires et dégagées, quand le mercure s’effondre. L’arboriculteur n’est heureusement pas tout seul pour faire face : les répondeurs spécialisés de Météo France sont là pour seconder son expérience et faire éventuellement sonner le réveil, à 4 heures du matin. L’arsenal défensif est multiple, différent selon les régions ou le type de froid. Ce peut être l’allumage au chalumeau et au pas de charge de seaux de paraffine préalablement disposés au pied des tiges, à espacement calculé (quelques degrés gagnés évitant la catastrophe), l’arrosage en fine pluie du feuillage pour créer une coque de glace isolante autour du bourgeon (la manoeuvre est très délicate), la mise en route d’hélices portées par de hauts mats qui vont brasser l’air et faire descendre la couche d’air supérieure, légèrement plus chaude). Toutes ces méthodes ne sont efficaces que contre des chutes de température supérieures à -5° C. En dessous, on appelle ça la fatalité, qu’il faudra pourtant assumer.

gazette3Vient ensuite le stade de la fleur, de la première née jusqu’à la chute des pétales en passant par l’épanouissement. Si son dessein secret est bien de nous mettre le coeur en joie, la fleur est également l’espoir d’un fruit. Et sa crainte de la morsure fatale du gel n’a d’égale que celle d’être boudée par ses amies, les abeilles. Ces dernières ne demandent pourtant que peu de temps pour remplir leur belle tâche de dispersion étudiée des pollens, quelques journées sèches et douces pendant la période, parfois moins… Mais, malgré tout leur courage désintéressé, elles ne peuvent sortir de la ruche dans le froid et sous la pluie. Une bien maigre récolte – comme celle de la pomme en 2012 – en résultera.

Quand nos travailleuses ont enfin pu ensemencer les fleurs vient l’instant décisif de la nouaison, de l’ »accroche » du fruit à sa tige. Vous connaissez tous l’histoire du petit solitaire qui rencontre une belle sphère pour s’y fondre et devenir autre, et bien là, c’est pareil ! Pour que ça se passe comme dans un livre, pour éviter la coulure du pollen hors du calice, il faudra là encore un peu de compassion météorologique afin que notre jeune fruit puisse prendre de la graine, et vivre sa vie…. Ouf, il ne reste plus qu’à se protéger des orages de grêle, prévenir la sécheresse, éloigner les carpocapses, etc.

gazette4Pour les maraîchers, la donne est différente. Les régions concernées sont plus méridionales donc présumées peu sujettes à la gelée. Bien que tout se passe alors pendant la première lune du printemps. C’est en mars, parfois en février qu’ont lieu les grandes manoeuvres. Objectif : être prêt en juin lorsque vos envies de légumes ratatouille seront irrépressibles. On sait depuis la grande Françoise que tout se joue avant… un certain âge. Pour la tomate, fruit phare des serres provençales, une croissance rapide du pied, sans break végétatif provoqué par froid ou humidité, avec un bon enracinement à la clé, est garante de la vigueur future de la plante, d’une bonne aptitude à fructifier autant qu’à résister aux ravageurs et champignons pouvant se présenter. Les outils pour se prémunir sont rares mais le risque est réel, bien que plus faible qu’au Nord (de Montélimar). Les systèmes thermiques de maintien hors-gel permettant de gagner quelques degrés sont peu présents en bio du fait du coût de leur mise en oeuvre et de leur incompatibilité écologique.

Le froid reste aussi l’ennemi d’une bonne pollinisation. Dans ce cas, ce sont les bourdons, pour une fois plus vaillants que les abeilles (méfions-nous des clichés) qui sont mis à contribution pour batifoler de fleurs en fleurs et transmettre la bonne semence.

Alors, vivement le printemps ? Bien sûr, mais quel soulagement lorsque vient le joli mois de mai !

Alain Poulet

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