La fleur de sel de Guérande

La fleur de sel de Guérande et son inimitable parfum de violette ? Pour sûr ! De la même manière que l’huile d’olive de Nyons évoque la pomme verte, le beaujolais nouveau la banane et le sancerre la pierre à fusil… Soit autant d’expressions souvent fleuries et parfois imagées pour exprimer ce que tout un chacun ne sait pas forcément décrypter. Nous nous contenterons pour notre part d’une approche plus prosaïque : la fleur de sel donne un goût incomparable aux aliments qu’elle accompagne. Sa différence avec un simple sel de table blanc s’impose sans forcer.

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Les grands chefs de cuisine ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, eux qui ont participé à une bien habile campagne de presse destinée à réhabiliter un produit que l’histoire avait quelque peu oublié. Coup de maître. Certains regretteront l’éclairage « mode » ou « tendance » qu’une telle campagne a contribué à poser sur cet aliment, nous pas. Le produit reste, et s’il n’était pas à la hauteur du discours, on n’en parlerait déjà plus. On serait même tenté de dire « vive la mode et ses conséquences » lorsqu’elles permettent, comme dans le cas présent, de conforter un sel de qualité qui ne provient ni de l’Himalaya, ni de la planète mars. La fleur de sel est le fruit d’espaces naturels préservés, d’une longue tradition et d’un travail totalement artisanal qui surprend : par les temps qui courent, on s’étonnerait presque qu’il soit encore possible de procéder si finement, et on s’en réjouit.

Bretagne : entre la très belle ville de Guérande et les non moins agréables plages de Batz-sur-Mer se trouvent les salines et les hommes qui y travaillent, les paludiers. Du latin « palus » – quart d’heure culturel oblige – également racine d’un autre mot évoquant le marais, le paludisme. Ces paludiers sont ici au nombre de 250, et 100 parmi eux travaillent le sel de manière professionnelle. L’un d’entre eux, Stéphane Bouleau, produit pour Danival la fleur de sel quguerande1e nous distribuons, avec mention Nature et Progrès. Il sera notre guide.

On évoquait le latin, on parlera de Romains, toujours présents dans l’histoire dès lors qu’il s’agit de grands aménagements et de liquides. Non contents d’avoir inventé l’eau courante, le tout à l’égout et l’aqueduc, ils ont aussi restructuré les salines françaises et modernisé nos façons d’obtenir le sel. Alors que nos ancêtres les Gaulois procédaient en prélevant de l’eau de mer qu’ils faisaient évaporer au feu de bois, nos colonisateurs préférés ont pour leur part fait preuve de pragmatisme écologique en organisant les marais proches de la mer de telle sorte que le soleil et le vent se chargent de cette évaporation. Une saline est depuis une organisation de l’espace en petits bassins qui portent tous des noms différents, et dans lesquels l’eau de mer s’achemine à l’occasion des marées. Par de nombreux et habiles jeux de trappes et de vannes, le paludier dirige l’eau d’un bassin à l’autre. Cette eau se concentre toujours plus en sel à mesure qu’elle s’évapore, et se purifie par la même occasion. On passe ainsi d’une teneur originelle en sel d’un peu plus de 25 mg par litre à près de 300 mg. À ce dernier stade, aucune bactérie pathogène ne peut subsister dans le liquide, pas plus que toute autre forme de vie, si l’on excepte ces micro-organismes qui aiment le sel et en tirent leur nom, les bactéries halophiles.

guerande7Elles contribuent à donner sa couleur rosée aux salines de Guérande, et parfois à la fleur de sel fraîchement recueillie. Une fois la fleur séchée, elles lui donneront ses fameux arômes de violette et sa petite amertume.

Les derniers bassins qui permettent de concentrer le sel s’appellent les œillets. C’est sur leurs bords que les récoltes s’opèrent. « Les » récoltes, parce qu’elles sont bien distinctes : il y a celle du « gros » sel, et celle de la « fleur » de sel.

Le gros sel est prélevé quotidiennement. Il cristallise au fond de l’œillet, guère profond au demeurant. Le paludier le recueille à l’aide du « las » en un joli geste qui permet aussi bien d’étaler l’eau que de racler le sel sur le fond argileux. Il s’en récolte de 50 à 80 kg par œillet, chaque jour.

 

La récolte du gros sel

La récolte du gros sel

 

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La récolte de la fleur de sel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Une journée de travail !

Pour la fleur de sel, c’est différent. On sait depuis Saint-Exupéry qu’une fleur ne s’épanouie que lorsqu’elle est aimée. Dans le cas présent, il lui faut du soleil, un bon vent d’Est de préférence, une absence totale de pluie et un zeste de paramètres plus ou moins prévisibles qui font tout son charme et son mystère. Lorsque le ciel le veut donc bien on voit apparaître en début d’après-midi une fine cristallisation en surface de l’eau, sur les bords de l’œillet. Vers 16 heures, cette cristallisation s’intensifie et finit par former une légère croûte, comparable à la glace naissante sur un étang. Le paludier la prélève avec grand soin à l’aide d’une « lousse » en se gardant d’un geste imprécis qui coulerait et souillerait la précieuse récolte. Un œillet peut en donner 3 kg les bons jours, 5 parfois, zéro, fréquemment.

Toute la saveur de la fleur de sel est due au fait qu’elle n’est pas constituée que de guerande5sel… Le sel de table pur, ou presque, est lui un produit de l’industrie agroalimentaire. Récolté une fois par année de manière mécanique, il est blanchi, puis on y ajoute un anti-agglomérant, du fluor… La fleur de sel contient naturellement du magnésium et des oligo-éléments. Elle sale moins qu’un simple sel de table, et moins vite. Mais tellement mieux ! Elle est parfois intégrée à des recettes de grande finesse, mais est le plus souvent ajoutée au dernier moment sur un aliment ou un plat qu’elle contribuera à révéler à mesure qu’elle distillera ses arômes. Notons enfin que les fleurs de sel de l’Atlantique Nord en général – et celles de Guérande en particulier – sont beaucoup plus agréablement « fondantes » que les autres provenances, souvent trop dures et craquantes.

Stéphane Bouleau, notre paludier, a toujours travaillé dans le marais. Il concrétise son attachement à son métier en faisant certifier sa production par Nature et Progrès. Notons toutefois que toute fleur de guerande6sel de Guérande est un produit de qualité maximale, et ce label ne peut donc contribuer à ce qu’elle soit meilleure. Mais il garantit une démarche environnementale qui n’est pas sans intérêt. Quelques exemples : lorsqu’on bâche une saline pour la protéger des intempéries, Nature et Progrès impose que les toiles ne soient pas recouvertes de pneus, mais de pierres. Les vannes ne doivent pas être en fibrociment, mais en ardoise, de celle qui recouvre si joliment les toits des maisons par ici. Et ainsi de suite. Autant de petites attentions qui contribuent à maintenir la beauté du lieu, la fragilité de son écosystème et le caractère purement artisanal d’un métier noble au service du goût, de notre cuisine et de nos santés.

JM