Farine de blé khorasan français Moulin Pichard

Grain miracle, blé de Toutankhamon, trésor d’Egypte : le blé de khorasan est un épi-phénomène associé à des qualificatifs grandioses, parfois mythiques, bien souvent erronés. Qu’importe, son histoire est aussi curieuse que passionnante. Nous nous sommes rendus dans le Luberon pour vous la conter, assis face à un champ de blé bordé de cyprès et d’oliviers. Tout ce qu’il faut pour être heureux et dire de belles histoires.

Le blé du Pharaon

Il était une fois un aviateur américain qui avait reçu en cadeau d’un ami de retour d’Egypte une poignée de grains de blé d’un aspect surprenant. Ils étaient beaucoup plus gros et allongés que des grains de blé tendre, leur forme bosselée et leur couleur d’un blond doré vitreux. L’ami affirme les avoir trouvés près de la tombe d’un Pharaon. Il les aurait plus vraisemblablement achetés sur un marché du Caire… Quoi qu’il en soit, notre aviateur les envoie à son père, agriculteur dans le Montana. Nous sommes en 1949. L’agriculteur sème la céréale et la voit croître. Il la nomme « Blé de Toutankhamon ». Elle connait un succès local éphémère, puis sombre dans l’oubli avant d’en être extirpée dans les années 1980 par Bob Quinn, biochimiste et fils d’agriculteur du Montana, qui crée la marque commerciale Kamut©. Une très belle protection pour la céréale, ainsi préservée par une charte qui oblige à la cultiver uniquement en bio et interdit hybridation et manipulations génétiques. Protégée, et aussi verrouillée : ne cultive pas de Kamut© qui veut, a fortiori hors du Montana…

C’est donc sous la marque Kamut© que plusieurs produits font leur apparition dans les magasins bio français dans les années 1990 : pain, grain entier, boulgour… Tous proviennent des Etats-Unis et surfent de près ou de loin sur le mythe du Pharaon. En vérité, cette variété de blé dur aurait pour berceau la région de Khorassan, située au nord-est de l’Iran, d’où elle tire son nom générique : « blé de khorasan ». Une variété ancestrale, préservée : voilà une belle carte de visite, qui suscite l’intérêt des boulangers de chez nous. Patrick Le Port, alors dirigeant de la Boulangerie Savoyarde, met au point un pain 100% pur Kamut© avec une farine produite par le Moulin Pichard, qui fait venir le grain du Montana. Ce pain est commercialisé chez Satoriz, tout comme les farines Pichard. Satoriz aimant titiller un peu la logique des choses, toque chez Pichard pour savoir si, dites, ce blé-là, ce serait possible d’en avoir du français plutôt que de l’américain ?

 

Le blé du Luberon

Pendant ce temps, dans le Luberon…

En 1982, Gérard Guillot est agriculteur bio à Montfuron mais aussi « éducateur de santé ». L’un ne saurait aller sans l’autre pour ce passionné, poète à ses heures, qui s’intéresse aux lois de la vie qui régissent l’harmonie du sol comme de l’humain. Son épouse montrant les premiers signes d’une intolérance alimentaire, il fait du gluten l’un de ses thèmes de réflexion. Il apprend que les variétés anciennes de blé en contiennent moins, ou que le leur est mieux toléré, et part à leur recherche. Va voir les paysans du coin, récupère des sacs sans âge stockés dans de vieux greniers, sème, expérimente… Au début des années 1980, le bio est encore affaire de babas cool farfelus. Qu’importe, c’est son crédo. Il produit céréales et légumineuses, élève moutons et chevaux et se consacre à la réhabilitation d’une variété ancienne, le blé Meunier d’Apt. Pardon, pas « ancienne » ; « paysanne », plutôt. Il insiste : une variété ancienne, c’est une variété d’avant 1920, avant les semenciers. Les variétés paysannes sont donc des variétés anciennes entretenues par les paysans et non par les semenciers. A l’époque, il gagne le concours de la plus belle céréale bio de France (du point de vue de la cristallisation sensible) avec son blé Florence Aurore récolte 1989. Le même blé cultivé en chimie par le voisin finit dans les derniers…

Le Kamut commençant à faire parler de lui, Gérard Guillot décroche son téléphone et appelle Kamut Europe pour demander le droit d’en cultiver. On lui répond que le Kamut© n’est pas cultivable en Europe, car la qualité des sols ne permet pas d’obtenir le taux de 17% de protéines requis par la charte… Prenant cette justification comme un défi à relever, Gérard Guillot achète 25 kilos de Kamut© du Montana et les sème chez lui. Les graines semblent beaucoup s’y plaire. Il nomme la récolte « blé Polonicum – dit Kamut » et en commercialise la farine auprès de boulangers locaux. Il remarque qu’au bout de trois ans de culture, le grain du Montana plutôt grisâtre à l’origine est devenu en Provence translucide et blond, son goût noiseté plus prononcé. En 1999, une équipe de chez Kamut© débarque à l’improviste, poliment décidée à l’empêcher de poursuivre ses exactions botaniques. Hasard du calendrier, Gérard Guillot avait fait faire des analyses comparées de son Polinicum et de Kamut© sur la récolte 1997. Bilan, protéines : 17,31% en Provence contre 14,34% pour le Montana… La team Kamut© plie poliment bagages en lui demandant simplement d’ôter le mot « Kamut » des paquets de farine. Respect !

Depuis, Gérard Guillot a fait des émules et une filière de blé khorasan origine Provence s’est peu à peu substituée à la provenance Kamut© chez Moulin Pichard, premier à « sortir » de chez la firme américaine. Entre temps, un travail d’information a été réalisé par étapes. Chez Satoriz, on a ainsi vu arriver du pain de « blé khorasan Kamut© », puis de « blé khorasan » tout court, toujours en provenance de la Boulangerie Savoyarde.

 

La farine de blé khorasan

Retour devant notre champ de khorasan, bordé d’oliviers et de cyprès. Ceux qui affirment qu’il ne faut rien d’autre à leur bonheur sont les propriétaires des lieux, Chantal et Patrick Ochs. On plonge avec eux la main dans un sac de grains, on admire leur couleur jaune ambrée, leur parfum de paille fraîche et de pâte qui lève. On goûte du pain maison en dissertant sur la saveur du khorasan, beurrée, noisetée, presque sucrée avec un petit goût de terre, dépourvue d’amertume. On cause brioches et sablés au beurre, et pour une fois ce n’est pas Clea qui suggère d’y mettre de la purée d’amande…

Stéphane Pichard rappelle que le khorasan est un blé dur, dépourvu de son, et par conséquent sa farine, une semoule. Plus granuleuse, elle se prête particulièrement bien à la confection de pâtes maison et de pain au levain. Techniquement, cette mouture est l’équivalent d’une farine intégrale. Chez Pichard cependant, on s’est dit que quitte à démocratiser son usage, autant y aller franchement et produire une farine bise, équivalent d’une Type 80 pour le blé tendre. En tamisant la semoule intégrale, on obtient cette mouture plus fluide qui se prête à toutes les préparations, notamment brioches, pâtes à tartes et pâtisseries auxquelles elle garantit une belle couleur jaune d’or et une conservation plus longue.

A l’heure actuelle, le Moulin Pichard travaille avec quinze agriculteurs, tous localisés dans la région Provence-Alpes-Côte-D’azur. Comme les autres variétés paysannes, le blé khorasan est une céréale gourmande au rendement moins important que celui du blé moderne. Elle se développe extrêmement bien dans les terres provençales et craint peu la sécheresse.

Pharaonique ou non, le khorasan est roi sur le plan nutritionnel. Il est particulièrement apprécié pour sa richesse en protéines et en minéraux (phosphore, sélénium et magnésium), supérieure à celle du blé tendre. Son indice glycémique est moins élevé. Beaucoup de gens sensibles au gluten des blés issus des variétés des semenciers tolèrent bien celui du khorasan.

On reparle de sablés au beurre. On admire le semoir de Chantal et Patrick, millésime 1949. On lit un poème de Gérard, écrit dans un moment d’émotion et d’exaltation à l’heure des semis, ceux qui durent deux jours et une nuit. Et puis on est heureux que les histoires soient parfois un peu compliquées, les destins joyeusement entremêlés, et de ne pas avoir à apposer le mot « fin » au terme de ce récit.

CC